REGLES DE DOGEN


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  1. UN AVEC LA VOIEComment les moines et nonnes s’harmonisent avec l’unité
  2. ZEN ET VIE QUOTIDIENNEPratiquer le zen dans le monde moderne
  3. -> REGLES DE DOGENLe corpus des règles du temple d’Eihei-Ji
  4. UNE JOURNEE ORDINAIREEtablir la pratique dans le quotidien

BENDOHO: LES REGLES DU DOJO

hogejakuHogejaku, tout abandonner.

Le bendoho est le modèle pour la pratique de la Voie. Ho est le Dharma, mais aussi la règle, le modèle. Il s’agit donc de consignes très précises pour pratiquer zazen dans le dojo avec des estrades et éventuellement des paravents si les pratiquants sont nombreux, pour être toujours face au mur et non au dos de quelqu’un. On mange et on dort également dans le dojo dans ce contexte.

Nous émaillerons notre propos d’extraits significatifs du Bendoho de Maître Dogen qui dispensent des considérations générales sur la pratique. Pour commencer:

Tous les Bouddhas et les patriarches sont dans la Voie du Bouddha. Le Dharma existe et ils apparaissent. Sans le Dharma, ils n’apparaîtraient pas.

La Voie est l’ordre cosmique, elle est le préalable et nous sommes tous déjà dedans. Le Bouddha Shakyamuni nous a montré comment suivre la Voie, et il l’a suivie lui-même. Les moines et nonnes en particulier doivent donc devenir des guides et montrer la Voie par l’exemple de leur propre pratique. C’est comme dévoiler une route ancienne au milieu de la jungle, ce n’est pas créer quelque chose de nouveau.

Nous avons tous à nous incliner humblement devant le Dharma. Dogen explique en détail comment pratiquer, c’est toujours à l’aide de recommandations très concrètes qu’il nous invite à le suivre. C’est vrai en particulier dans le Eihei Shingi; dans le zen, comprendre signifie pratiquer avec le corps.

Quand la sangha fait zazen, faites zazen. Quand la sangha se couche, couchez-vous. Dans l’activité comme dans le calme, un avec la sangha, maintenant et toujours. Etre différent des autres n’est pas la conduite des moines.

Finalement, tous les lieux doivent devenir un lieu de pratique. Il n’est pas bon dans la pratique de la Voie de chercher à devenir une personne hors du commun, de se faire remarquer, de mettre en avant ses caractéristiques personnelles, car cela ne permet pas de s’harmoniser.

Ce fut difficile pour Dogen en particulier, qui fut adopté par son oncle et sa tante qui appartenaient à la cour impériale. L’oncle de Dogen souhaitait en faire un prélat, un moine bouddhiste de luxe versé dans la politique, et il a dû dans sa jeunesse complètement couper avec cela.

De plus il possédait des qualités intellectuelles tout-à-fait extraordinaires et précoces: il écrivait des poèmes en chinois à l’âge de quatre ans, et devint très érudit en matière de littérature. Lorsqu’il est devenu un vrai moine auprès de son Maître Nyojo, il a complètement abandonné tout cela, pour finalement écrire des poèmes à la fin de sa vie, mais ayant tous trait à la Voie.

Pratiquer la Voie est la pratique-réalisation avant le kalpa du Bouddha. Aussi n’attendez pas la grande réalisation, ne vous précoccupez pas de votre réalisation.

Nous ne devons pas rechercher le grand satori, une prise de conscience directe de la réalité, mais mettre toute notre énergie dans chaque action en tant que telle, sans but et sans intention. Voici maintenant un extrait qui concerne plus particulièrement le zazen du soir:

Revêtez votre kesa, installez-vous dans le dojo et faites zazen. L’abbé s’asseoit en face de la statue de Manjusri. Derrière l’abbé se trouve un banc. Le jisha (secrétaire) reste au service de l’abbé.

Manjusri est le bodhisattva qui incarne la sagesse, il est représenté assis sur un lion et brandissant un sabre. Il symbolise la force et la rigueur de zazen qui nous permet de trancher toutes nos illusions. Son pendant est le bodhisattva kannon, qui symbolise la compassion.

De temps en temps, il peut être intéressant de chanter les sutras dans sa langue maternelle, plutôt qu’en japonais, pour s’en rappeler le sens.

Dans le dojo, au moment de dormir, on s’installe la tête tournée en direction de l’autel. On doit adopter la posture du Bouddha couché, allongé sur le côté droit, la main droite sous la joue, les jambes légèrement pliées et l’une sur l’autre. On conserve sa robe (kolomo) mais pas le kesa. On ne doit pas incommoder autrui en adoptant d’autres positions ou tenues.

Voici les consignes de Dogen au sujet du lever:

Le matin, levez-vous sans attendre mais sans précipitation. Restez à votre place un moment, puis couvrez-vous avec votre couette et faites zazen. Si vous clignez plusieurs fois des yeux rapidement, une faible brise y entrera et vous sortirez aisément de votre torpeur.

N’oubliez jamais que la mort survient rapidement, et que vous n’avez pas encore clarifié la Voie. Ne baillez pas, évitez de vous étirer, de soupirer bruyamment, de vous éventer.

Manifestez toujours du respect pour la sangha.

Dans le dojo, nous ne devons pas déranger les autres, nous ne devons pas communiquer nos émotions, ni incommoder autrui par nos plaintes. Nous devons bien plutôt saisir l’opportunité de nous encourager mutuellement.

Dogen décrit aussi la pratique du matin consistant à se laver :

Dès que l’occasion se présente, allez tranquillement et sans hâte à la salle d’eau, lavez-vous le visage. Ne vous départissez pas de votre shukkin (cordelette nouée autour de la taille) qui vous permettra de nouer votre serviette[…].

Ne faites pas de bruit en marchant. Si vous croisez quelqu’un, ne discutez pas, contentez-vous de le saluer discrètement d’un hochement de tête. Même si vous êtes seul, ne chantez pas. Ne vous déplacez pas les bras ballants, mais marchez en shashu.

Récitez le sutra adéquat : Senmen No Ge pour se laver le visage et sutra de la dent pour se brosser les dents. Lorsque vous lavez vos dents, crachez doucement et n’éclaboussez pas. Enfin retournez au dojo et faites zazen.

Lorsque tout le monde a terminé (avant la fin de la nuit), rangez votre couette, puis chantez avec la sangha le Dai Sai Gedda Puku.

Dogen conclut en disant : suivre les règles est exactement le critère de s’engager dans la pratique de la Voie.

Il propose aussi une description très précise de la procédure à suivre pendant le jour de repos, hosan, qui se renouvelle tous les 5 jours environ, lors des jours se terminant par 4 ou 9 (le 4, le 9, le 14, le 19, le 24, le 29). Ce jour donne lieu entre autres au rasage mutuel des moines, ainsi qu’à la lessive.

REGLES ET PRECEPTES

sutrashingyoPréceptes.

Les règles doivent respecter les préceptes des Bouddhas et des Patriarches, suivre les instructions du Petit Véhicule et du Grand Véhicule, et s’harmoniser avec les règles de Hyakujo (un jour sans travailler, un jour sans manger).

Les règles sont liées à la communauté qui les suit. Il n’est pas adéquat pour un moine ou une nonne de discuter la règle. Il faut simplement suivre, même si c’est une manière différente de ce à quoi on est habitué(e). Le moine pèlerin, ou qui change de temple, doit dès qu’il arrive se renseigner auprès des responsables, sur les règles en vigueur dans le lieu, de manière à pouvoir s’harmoniser.

Les préceptes, en revanche, ont une valeur universelle, ils incarnent l’esprit d’éveil et la transmission reçue du Bouddha à travers l’ordination : les 16 préceptes du bodhisattva. On les intègre progressivement et elles deviennent un facteur de liberté intérieure. Faire ce qu’on veut n’est pas la véritable liberté, c’est seulement suivre les illusions de notre ego.

Dans un dojo, il est important d’harmoniser les manières et la cérémonie : lorsqu’il y a plusieurs responsables qui codirigent les zazen, ils doivent s’harmoniser et décider d’un choix de règles commun. La règle devient alors une aide pour lâcher prise d’avec nos opinions personnelles. C’est un support de vigilance.

Les règles de Hyakujo sont une référence constante dans le zen, pourtant elles ont été perdues ou même il se peut qu’elles n’aient jamais existé. Cependant ce Maître demeure célèbre pour avoir instauré le samu (travail manuel) et guidé la sangha vers l’assurance de son auto-subsistance par le travail quotidien.

On retrouve l’esprit de ces règles dans un autre texte qui sert de référence : le zennen shingi:

Qu’il s’agisse d’affaires de moindre importance ou de grande importance, le comportement des moines doit être conforme aux règles.

On trouve également des références utiles concernant le respect des préceptes dans le sutra du filet de Brahma qui développe les 16 préceptes principaux : les dix préceptes, les 3 préceptes consistant à protéger les trois trésors, le précepte de ne pas faire le mal, le précepte de faire le bien, et enfin celui de ne faire le bien que pour le bien des autres. Ce sutra traite également des 48 préceptes mineurs.

Il est cependant nécessaire pour les moines et nonnes zen occidentaux de se concentrer sur les enseignements du zen en priorité, avant d’aborder les sutras bouddhistes anciens. Il faut bien connaître la tradition, en particulier les maîtres fondateurs du zen Soto : Maître Dogen évidemment, ainsi que Keizan, Menzan, Sozan et Tosan.

Il est également important de ne pas faire de mélange entre les traditions. En Chine à l’époque de Dogen il régnait une grande confusion entre le Bouddhisme, le Taoïsme et le Confucianisme. C’est une des raisons pour lesquelles Dogen a été si prolifique : pour établir fermement les fondements du zen Soto.

Nous ne devrions accorder de valeur qu’à nos affinités avec le Dharma.

SHURYO SHINGI: LES REGLES DE LA SALLE D’ETUDE

sutraSutra du Lotus.

Dans la salle d’étude, chacun doit être pour l’autre à la fois son parent, son frère, son maître et son ami de bien. La sympathie mutuelle (kanno doko) se développe naturellement mais doit être cultivée : c’est le rôle des responsables de faire vivre cette harmonie.

L’harmonie dans la sangha inclut de corriger les erreurs des autres, fermement mais délicatement. Dogen nous invite également à être reconnaissant(e)s d’avoir rencontré la Voie, car la gratitude est source de bonheur et de joie.

Les frères et sœurs dans le Dharma devraient être plus proches d’autrui que d’eux-mêmes. C’est le grand avantage des relations intimes.

Il ne faut pas confondre cette vie en communauté avec le repli du communautarisme tel qu’on peut le rencontrer dans notre société actuelle. Il faut éviter le cloisonnement des groupes autour d’un objet de foi ou d’une personne.

La communion entre les membres d’une sangha est cependant un trésor précieux. Maître Yunnan dit à ce sujet :

Même faire une traversée sur un même bateau ressort de relations menées dans des vies antérieures. Donc n’avons-nous pas a fortiori plus de connexions entre nous lorsque nous partageons la vie de temple?

Même si nous sommes actuellement des hôtes ou invités, nous serons à l’avenir tous des Bouddhas et des Patriarches, nous devons donc nous considérer et nous respecter mutuellement comme tels.

Les règles de calme dans la salle d’étude peuvent être transposées au cas comme celui d’une nuit de zazen, ou d’une sesshin où nous partageons un dortoir : l’essentiel est toujours de ne pas déranger les autres, de ne pas se replier dans des affaires personnelles et de ne pas gaspiller son temps et son énergie dans des conversations mondaines.

Toute action doit être effectuée calmement, sans précipitation. Ainsi même si dans une sesshin il y a deux cents ou trois cents personnes, on est comme seul.
Maître Sekito émit ce vœu :

Je prie sincèrement pour que ceux qui étudient la Voie ne laissent pas passer le temps en vain.

CHIJI SHINGI: LES REGLES D’ADMINIS
TRATION

templePlan d’un temple zen.

Ce texte de Dogen daté de 1246 puise son inspiration dans le Zennen Shingi de Choro Sosaku, mort en 1107, et reprend environ 40% de ses règles.

Il est donc intéressant de constater qu’un corpus de règles répond aux problèmes inhérents à une époque. D’autre part sur les 54 pages que comporte le Chiji Shingi, la moitié concerne des exemples de maîtres anciens qui ont expérimenté l’éveil en exerçant une fonction d’administration.

Le reste est composé de 14 pages sur le Kan’in, qui est en quelque sorte le directeur administratif, 4 pages sur l’Ino qui supervise les affaires des moines, 8 pages sur le tenzo qui est le chef cuisinier, 2 pages sur le Shissui qui est le chef du travail des moines.
En réalité selon la taille du temple la fonction du kan’in peut se démultiplier en 3 postes : le Tsutsu (directeur), le Kansu (directeur-adjoint), le Fusu (trésorier).

Ce qui pose la question en écho : de quels postes, de quelles fonctions administratives a-t-on besoin dans les différents contextes de la pratique ? Par exemple, nous découpons assez précisément les fonctions en sesshin, mais dans un dojo certaines sont regroupées.

Le kan’in régit toutes les affaires générales du temple ; voici un extrait significatif de ses fonctions :

  • Répondre aux fonctionnaires du gouvernement
  • Surveiller les rencontres entre la sangha et les laïcs
  • Réunir la sangha pour les cérémonies
  • Tenir compte des prêts et des emprunts
  • Décider du budget annuel du Temple
  • Surveiller les réserves d’argent et de céréales
  • Surveiller les dépenses et les recettes
  • Instruire et punir les moines

25% de ces fonctions sont des citations directes du zennen shingi. Il serait éventuellement intéressant de pouvoir comparer les deux textes, car la situation à l’époque de Dogen présente une analogie avec celle de la sangha occidentale, en ce qu’elle constitue un cas de transposition d’un pays à un autre.
Les moines qui occupent ces postes doivent être « expérimentés et vertueux, avec de très bons cœurs« . Ils doivent désirer humblement être enseignants des moines et non de rois ou de ministres, comme certains moines bouddhistes le faisaient à l’époque.
Le Directeur œuvre pour la paix de la sangha, et ce quel que soit le nombre de moines. Dans la sangha moderne moines et nonnes ne vivent pas tous les jours ensemble, quelles différences peuvent donc en résulter ? La sangha étant très mixte à tous points de vue, quelle influence cela a-t-il sur les positions/fonctions administratives ? Mais aussi comment former des futurs responsables pour qu’ils remplissent les conditions exigées ? Combien de temps devraient-ils occuper ces positions ? Ces questions restent ouvertes…
Il ressort encore de ce texte plusieurs éléments notables :

  • L’importance de la Sangha ;
  • La nécessité de se concerter et de se consulter entre responsables ;
  • La consultation de l’Abbé pour les situations exceptionnelles qui affectent le temple;
  • La nécessité d’exprimer gentiment mais complètement si quelqu’un, même les responsables ou l’Abbé lui-même, a agi à l’encontre des sentiments de la majorité;
  • Le respect des sages et l’acceptation ouverte de tout le monde dans la sangha.

Que les anciens et les nouveaux vivent en harmonie et amitié, paisiblement. Le directeur ne doit pas surmener les moines. L’exercice des responsabilités ne doit pas déranger la paix de la sangha.

Dogen insiste beaucoup sur la nécessité de coopération, en particulier entre les six principales fonctions et l’Abbé. Nul ne prend de décision de son propre chef uniquement. Nul n’agit en fonction de préférences privées. Tous les bodhisattvas, donc tous les pratiquants, doivent se voir mutuellement comme l’Honoré du Monde (le Bouddha).
Le directeur est la fonction la plus élevée du temple, cependant même lui doit faire preuve de coordination. Les structures hiérarchiques modernes ne reflètent pas forcément ce qu’elles étaient à l’époque. Pouvons-nous fonctionner de manière différente par rapport à la société d’aujourd’hui ?…