Notre vie quotidienne elle-même fait surgir le questionnement et l’observation des 12 chaînons de l’interdépendance:
1) La souffrance
- La séparation de l’ego avec le monde
D’où vient la souffrance ?
Au commencement du langage, de ce que nous appelons la conscience (Shiki = La conscience), le petit enfant construit son identité en se concevant comme séparé du reste du monde.
C’est ainsi qu’apparaît la pensée (Myoshiki), cette analyse du Bouddha est confirmée par la psychologie moderne. Cette séparation s’accompagne de la frustration, c’est la phase du « non », phase d’opposition, et cette séparation provoque une grande frustration. La sensation du « paradis perdu ».
La souffrance désigne dans le bouddhisme la souffrance mentale, et non la douleur physique (Ju = la sensation, : plaisir, déplaisir, douleur). La pensée crée une souffrance spécifique à l’être humain, que les animaux ne ressentent sans doute pas. Par exemple, souffrance de trop penser, d’être envahi, sous pression ; souffrance de se sentir pris dans un engrenage : engrenage de pensées, engrenage de notre vie quotidienne où nous devons remplir une fonction.
Comment se libérer de la souffrance et de l’engrenage dans lequel nous sommes pris?
Avec le langage apparaissent les désirs (Ai = la soif ou le désir) et la volonté de saisir (Shu = l’attachement : s’emparer, s’approprier). A cause de cette volonté de saisir, de nombreuses souffrances apparaissent. C’est le mécanisme de la publicité : créer un désir, engendrer une frustration de ne pas posséder, dont on se « libérerait » par l’achat de l’objet convoité.
- La dualité
Comme nous nous sommes construits en nous opposant, il y a « moi » et « le monde », « le bien » et « le mal », ce que « j’aime » et ce que « je n’aime pas ». Le langage est construit sur des couples de contraires. A cause de ces contraires, nous ressentons des contradictions, qui nous bloquent parce que la réalité est au-delà des contraires. La pensée occidentale bute sur des impasses. Un arbre par exemple n’est ni « bon » ni « mauvais ».
Dans notre vie, nous ressentons des contradictions, et souvent nous n’arrivons pas à les surmonter. Nous parvenons par conséquent difficilement à accepter des opinions différentes des nôtres ; si « moi j’ai raison » alors l’autre a forcément tort.
Comment résoudre la dualité ?
- La soif spirituelle (dukkha)
Finalement, on souffre de ne plus se sentir en unité avec le monde. Le bébé fusionnait avec sa mère, et il doit se construire dans l’adversité. On a « soif » mais quelle est au fond cette soif ? Comme le chante Alain Souchon, « On a soif d’idéal ».
Autrement dit on a fondamentalement soif de restaurer l’unité avec l’univers. Par compensation, l’idéal devient très élevé, comme les cathédrales : comme on se sent écrasé, poussé vers la terre, on veut s’élever haut dans le ciel. Il se crée donc encore une séparation entre notre réalité quotidienne et nos rêves ou ambitions, notre idéal qui nous semble hors d’atteinte. « Ah, ce serait bien si j’étais Bouddha, mais ce n’est pas possible je suis trop imparfait(e). »
Comment étancher notre soif d’absolu ?
2) La confusion
- La confusion intérieure (chaos) :
A cause de la multitude des pensées : désirs, souvenirs, projets, ambitions, regrets… la vie intérieure se complique, et finit par former une sorte d’écran entre soi et le monde. Comme de la saleté qui s’accumule sur une vitre. Parfois nous « ne savons plus où nous en sommes ». Nous n’arrivons plus à démêler nos sentiments intérieurs, nos sensations : on se sent triste « sans raison » par exemple, ou au contraire on est exalté sans savoir pourquoi…
La civilisation encourage la profusion, la surcharge de stimuli (Soku = Le contact, la réunion sujet/objet) : Les organes des sens sont saturés, engendrant un sentiment de lassitude, de fatigue nerveuse. On rêve alors de s’évader de la vie, ce qui fait aussi l’objet de commercialisation : objets commerciaux touristiques empaquetés.
Du coup, on produit en gaspillant énormément de ressources. Le découpage des tâches engendre une sensation de « dépersonnalisation » qui prive notre activité de son sens.
Comment redonner du sens à notre vie ?
- La confusion de l’esprit et de la pensée
Depuis les philosophes du siècle des lumières, eux-mêmes prenant appui sur la civilisation gréco-romaine, en particulier Descartes dont nous nous revendiquons, on estime que la pensée est complètement séparée du corps, mais aussi que tout l’esprit est dans la pensée. Or quand la pensée devient elle-même souffrance, on peut dire que l’esprit est malade, alors…
Comment guérir l’esprit ?
- La confusion de la vie et de la fatalité
A cause de la pression que l’on subit au quotidien pour se conformer à ce que la société attend de nous, à la fois en tant que travailleur, mais que consommateur, mais même jusque dans notre vie privée, on se sent rangé dans des cases, prisonnier d’un rythme infernal comme le rat qui tourne dans sa cage.
On ressent alors une fatalité : notre esprit ressasse les mêmes pensées, on adopte des attitudes réflexes, on suit des routines pour économiser l’énergie dans notre journée de travail. On peut donc croire qu’on est prisonnier de ses habitudes et qu’il est très difficile de changer. Nous sommes menés par notre « esprit de singe » qui saute de branche en branche. C’est l’esprit de profit, qui cherche à s’approprier la réalité.
Comment se libérer de l’esprit de singe ?
3) L’esprit « ushotoku » :
- Avoir un but :
Dans notre vie quotidienne, la plupart du temps nos actions sont motivées par un but, qu’il soit conscient ou inconscient. Nous agissons « en vue de… ». Nous sommes environnés de machines qui nous dépossèdent de nos actions. Nous ressentons donc que seulement lorsque nous sommes en vacances loin de la civilisation, nous pouvons alors nous promener sans but par exemple.
Il ne nous vient pas à l’idée que la vie puisse être un jeu, comme elle l’est pour les enfants. Alors parfois on a la « nostalgie de l’insouciance ». On est même amené à nourrir des buts contraires : on veut plaire à son patron en restant plus longtemps au travail, mais on veut aussi être disponible pour sa famille… on ressent une contradiction, une tension. On nous demande plus, mais on rencontre nos limites.
On veut être plus productif pour gagner du temps, mais cela débouche sur encore plus d’exigence de la part du client… les flux aussi deviennent « tendus ». On veut satisfaire autrui mais cela va à l’encontre de nos propres désirs. Il y a cette « toile » de désirs tissée par chacun qui tire dans tous les sens.
- Etre conditionné par ses « propres » désirs :
Souvent on ne remet pas en question nos désirs ; sont-ce réellement « nos » désirs ou plutôt ceux que la civilisation a créé pour nous ? Est-ce que j’ai réellement besoin de ce nouveau produit que je désire pourtant ? Et d’où vient ce désir ?
On n’a même plus conscience d’être influencé, parce que nous admettons comme un fait que nous avons besoin des objets les plus récents, comme un téléphone, une tablette, une voiture avec un tas d’options inutiles. Nous sommes ensevelis sous les options inutiles : au supermarché, dans nos mails, dans nos « écrans électroniques », lorsque nous utilisons une application etc. Non seulement nous sommes conditionnés, mais aussi nous sommes en quelque sorte téléguidés.
Comment nous libérer de nos conditionnements ?
4) Les trains de pensée
- Les habitudes de pensée:
Lorsque nous contractons une habitude mentale : opinion, procédure, manière de considérer un pan entier de la réalité… nous nous empressons de nous appuyer dessus régulièrement. Nous traitons ainsi une situation en faisant appel au « train de pensée » habituel qui nous offre un certain confort car il permet de dérouler une procédure étape par étape.
Les applications informatiques sont construites de la sorte, à partir d’un fonctionnement binaire : si… alors. Si la personne qui me parle veut ça, alors je fais ça etc. Il est telle heure, alors je fais ci. Si quelqu’un est de mon milieu social ou de mon environnement professionnel, je suis agréable avec lui, sinon je me méfie etc. Si bien que nous développons nos propres « routines » comportementales, et nous n’avons même pas conscience de restreindre nous-mêmes de la sorte notre propre créativité.
- L’ornière:
Ces « trains de pensée » sont ce qu’on appelle habituellement le karma, c’est-à-dire la trace laissée par nos actions répétées, en fait l’ornière du karma. Nous entretenons de la sorte de la souffrance, bien souvent inconsciemment. Là encore, cette vision a été largement confirmée par les sciences de l’esprit : psychologie, psychanalyse, thérapies diverses…
Comment retrouver un esprit neuf ?