SHOBOGENZO
Traduction Française du Shobogenzo, œuvre majeure de Maître Dogen.
L’enseignement du Bouddha, et le zen, sont au-delà du langage.
Maître Dogen parcourt dans ce chapitre des exemples illustres de Maîtres zen qui se sont éveillés par « la voix de la Vallée », c’est-à-dire la rencontre de la dimension absolue à travers les phénomènes.
Certains s’éveillent en contemplant la nature, d’autres une fleur, d’autres encore par un son, ou un choc physique. L’important finalement ici, c’est que toutes les existences nous enseignent.
Nombreux, dans l’état d’éveil suprême, furent les patriarches bouddhistes qui transmirent la vérité et reçurent l’attitude juste, et les exemples des ancêtres passés qui réduisirent leurs os en poudre ne peuvent être déniés. Apprenons du patriarche ancestral qui se trancha le bras, et ne dévions pas même de l’épaisseur d’un cheveu du bodhisattva qui recouvrit la boue.
Lorsque chacun de nous se dépouille de sa coque, nous ne sommes plus restreints ni par nos conceptions anciennes ni par notre compréhension, et ce qui était demeuré confus depuis de vastes kalpas apparaît soudain clairement devant nous. Dans l’ici maintenant d’un tel moment, le soi ne le reconnaît pas, personne d’autre n’en est conscient, on ne s’y attend pas, et même les yeux d’un bouddha ne peuvent l’entrevoir. Comment alors l’entendement humain pourrait-il le sonder?
Dans le grand royaume de Chine vivait jadis le laïc Toba, dont le nom était Soshoku, et que l’on appelait Shisen. Il semble avoir été un véritable dragon dans le monde littéraire, et il étudia les dragons et les éléphants du monde bouddhiste. Il nageait avec joie dans les profondeurs, et naviguait à l’aise parmi les nuages.
Un jour il se rendit dans la province de Lushan. L’histoire raconte qu’il entendit le son d’un torrent de montagne au cours de la nuit, et qu’il réalisa la vérité. Il écrivit alors le poème suivant, et le présenta au Maître Zen Joso:
Les voix du torrent de la vallée sont la longue et large langue du Bouddha,
La forme des montagnes n’est autre que son corps pur tout entier.
Durant la nuit, 84 000 versets.
Comment puis-je l’enseigner aux autres?
Lorsqu’il présenta ce poème au Maître Zen Joso, celui-ci le certifia. Joso était le successeur dans le Dharma du Maître Zen Oryu Enan, lui-même successeur du Maître Zen Jimyo Soen.
Un jour, lorsque le laïc Toba rencontra le Maître Zen Butsu-in Ryogen, ce dernier lui offrit un kesa, les préceptes bouddhistes, et ainsi de suite, et le laïc portait toujours son kesa pour pratiquer la vérité. Les gens ordinaires d’alors disaient: » Leur comportement est hors du commun. »
Aussi, cette histoire de réalisation de la vérité en entendant le torrent de la vallée, pourrait également bénéficier à ceux qui entrent plus tardivement dans la Voie. Il est bien dommage que trop souvent la forme concrète de l’enseignement, à savoir enseigner le Dharma par la manifestation du Corps, semble s’être perdue de nos jours.
Qu’est-ce qui a permis au laïc Toba de voir différemment la forme des montagnes et d’entendre la voix du torrent de la vallée? Une simple phrase ? La moitié d’une phrase? Ou 84 000 versets? C’est une honte que les sons et les formes puissent nous cacher les montagnes et les rivières. Mais nous devrions être heureux qu’il y ait des moments où parmi les causes et les conditions les sons et les formes de la réalité se révèlent dans les montagnes et les rivières.
Les manifestations de la langue du Bouddha ne faiblissent jamais. Comment la forme du corps du Dharma pourrait-elle exister et s’évanouir? Dans le même temps, devrions-nous considérer qu’elles sont proches lorsqu’elles sont apparentes, ou lorsqu’elles sont cachées? Devrions-nous les considérer comme une unité, ou comme la moitié de la vérité?
Durant les printemps et les automnes précédents, le laïc Toba n’avait jamais vu les montagnes ni entendu les torrents, mais soudain au cours de la nuit, il en devint justement capable. Les bodhisattvas actuels qui poursuivent la vérité devraient eux aussi ouvrir la porte en apprenant des montagnes et de l’eau.
Pendant la journée qui précéda la nuit durant laquelle ce laïc réalisa la vérité, il visita le Maître Zen Joso, et le questionna à propos d’histoires concernant l’enseignement du Dharma par les existences insensibles de Shokaku. D’après les mots mêmes du Maître Zen, la forme de son roulé-boulé alors était encore immature ; cependant dès qu’il entendit les voix du torrent de la vallée, les vagues s’épuisèrent d’elles-mêmes et le ressac se projeta jusqu’au ciel.
Ceci étant, puisque les voix du torrent de la vallée ont surpris le laïc, devrions-nous leur imputer son éveil, ou l’imputer à l’influence de Shokaku? Je présume que les mots de Shokaku dans son chapitre sur l’enseignement du Dharma par les existences insensibles n’ont jamais cessé de faire écho dans l’esprit de Toba, se mêlant secrètement dans la nuit au son du torrent de la montagne.
Qui peut définir empiriquement cette situation comme on le fait d’une unité de mesure? Et qui peut y rendre hommage avec la révérence due à l’océan tout entier? Et enfin, est-ce que le laïc réalise la vérité, ou est-ce que ce sont les montagnes et les rivières qui réalisent la vérité? Comment quiconque dont le regard est ouvert ne pourrait-il y voir la manifestation de la longue langue et du corps de pureté tout entier?
Un autre exemple:
Le Maître Zen Kyogen Chikan poursuivait la vérité dans la communauté du Maître Zen Dai-i Dai-en. Un jour Dai-i dit: » Vous êtes vif et brillant, et votre compréhension est large. Sans citer aucun texte ni commentaire, dites-moi une phrase sur ce que vous étiez avant que vos parents soient nés. » Kyogen cherche plusieurs fois quelque chose à dire, mais n’en est pas capable. Il déplore profondément cette condition de son corps-esprit, compulse les livres qu’il avait accumulés depuis des années, mais il demeure abasourdi.
Il finit par brûler ses écrits et dit: »Un gâteau de riz peint ne peut apaiser la faim. Je fais le serment de ne pas chercher la compréhension du Dharma du Bouddha durant cette vie. Je souhaite seulement être moine qui sert la soupe de riz et le repas du déjeuner. »
Après cela il passa en effet des années à servir les repas. Et tandis qu’il occupait ainsi ses journées, il dit à Dai-i:
« Le corps-esprit de Chikan est épais et impropre à exprimer la vérité. Le Maître consentirait-il à dire quelque chose pour moi? »
Dai-i répondit: « Je ne vois pas d’inconvénient à dire quelque chose pour toi, mais si je le fais, peut-être que tu m’en voudras plus tard. »
Après avoir passé des années ainsi, Chikan entra dans la montagne Buto-zan, suivant les traces du Maître National Daisho, et bâtit à son tour une hutte de chaume parmi les restes de l’ermitage du Maître. Il planta des bambous et en fit ses compagnons.
Un jour, tandis qu’il balayait le chemin, un morceau de tuile s’envola et frappa un bambou. En entendant ce son, il réalisa soudain la vérité. Il prit un bain, se purifia et faisant face à la montagne Dai-i-zan, il brûla de l’encens et se prosterna.
Puis, se rendant auprès du Maître Dai-i, il dit: « Grand Maître Dai-i! Si vous me l’aviez expliqué auparavant, comment une telle chose aurait-elle été possible? La profondeur de votre gentillesse surpasse celle de mes parents. »
Finalement il écrivit ce poème:
En un seul choc toutes mes connaissances s’évanouirent
Je n’ai plus besoin de me discipliner.
Mon comportement manifeste la voie des anciens,
Ne sombrant plus dans aucun abattement.
Il n’y a aucune trace nulle part:
L’Éveil est l’action dignifiée au-delà du son et de la forme .
Partout ceux qui ont réalisé la vérité
Honorent tous ces oeuvres suprêmes.
Il présenta ce poème à Dai-i, qui conclut: ‘Ce disciple est complet.’
Un autre exemple encore:
Le Maître Zen Reiun Shigon poursuivait la vérité depuis trente ans. Un jour qu’il vagabondait dans les montagnes, il s’arrêta pour se reposer au pied d’une colline d’où l’on voyait au loin des villages. C’était le printemps, les fleurs de pêcher étaient en pleine éclosion. Voyant cela, il réalisa soudain la vérité. Il composa alors le poème suivant qu’il présenta à Dai-i:
Depuis trente ans, un voyageur à la recherche d’une épée.
Combien de fois les feuilles sont-elles tombées et les bourgeons ont-ils germé ?
Après un seul regard sur la floraison des pêchers,
Je suis arrivé à destination du présent et tous mes doutes sont dissipés.
Dai-i dit: « Quiconque est entré dans le courant en s’appuyant sur les phénomènes ne connaîtra plus jamais l’hésitation ni la régression. » Voilà son affirmation.
Qui, étant entré dans le courant, ne pourrait s’appuyer sur les phénomènes extérieurs? Quelle personne de la sorte en effet pourrait hésiter ou régresser? Les mots d’Isan ne concernent pas seulement Shigon.
Finalement Shigon succéda à Dai-i dans le Dharma. Si la forme des montagnes n’était pas elle-même le Corps Pur, comment de telles choses seraient-elles possibles?
Un moine demanda un jour au Maître Zen Chosa Keishin:
« Comment faire en sorte que les montagnes, les rivières et la Terre soient en notre possession? »
Le Maître répondit:
« Comment faire en sorte que nous-mêmes soyions la possession des montagnes, les rivières et de la Terre? »
Ceci exprime le fait que nous sommes nous-mêmes naturellement nous-mêmes, et bien que nous soyions nous-mêmes les montagnes, les rivières, et la Terre, nous ne devons jamais être restreints par la possession.
Le Maître Ekaku de Roya, dont le titre posthume était Grand Maître Kosho, est un descendant lointain de Nangaku. Un jour Shisen, un conférencier d’une secte philosophique, lui demanda:
« Comment l’essence pure peut-elle faire soudain surgir les montagnes, les rivières et la Terre? »
Ainsi questionné, le Maître enseigna:
« Comment l’essence pure peut-elle faire soudain surgir les montagnes, les rivières et la Terre? »
Ceci nous indique de ne pas confondre les montagnes les rivières et la terre qui seraient seulement une pure essence avec « les montagnes, les rivières et la terre » dans leur réalité.
Cependant, parce que l’homme qui lisait les soutras n’avait jamais entendu cela même en rêve, il ne pouvait connaître les montagnes, les rivières et la Terre en tant que montagnes, rivières et Terre.
Souvenons-nous que si la forme des montagnes et la voix du torrent de la vallée n’étaient pas elles-mêmes le Dharma, Shakyamuni faisant tourner une fleur entre ses doigts ne pourrait rien proclamer, et Maître Eka ayant réalisé la moelle ne pourrait seulement se prosterner.
S’appuyant sur la vertu des sons du torrent de la vallée et sur la forme des montagnes, la Terre et tous les êtres sensibles réalisent simultanément la Voie, et de nombreux bouddhas l’ont réalisée en contemplant l’étoile polaire.
Pareil à des sacs de peau, les maîtres sages du passé se maintenaient ainsi, et leur détermination à poursuivre le Dharma était très profonde. À notre époque aussi nous devrions suivre leurs traces sans faillir: les pratiquants authentiques qui n’ont que faire de la renommée et du gain devraient établir une telle résolution. De nos jours, dans ce pays, les personnes qui poursuivent sincèrement le Dharma du Bouddha sont très rares. Elles existent, mais il est difficile d’en rencontrer.
Beaucoup prennent la forme de moines, et semblent avoir quitté le monde, mais se servent seulement du bouddhisme comme d’un tremplin vers la renommée et le gain. Il est pitoyable, et même lamentable qu’elles ne s’effraient pas du passage rapide du temps et se consacrent uniquement à leur sombre commerce. Quand pourront-elles espérer se libérer et atteindre la vérité?
Même si elles rencontraient un maître de la transmission authentique, il est probable qu’elles n’apprécieraient pas à sa juste valeur le dragon véritable.
Mon dernier maître, le Bouddha éternel (Nyojo), appelait de tels imposteurs « de méprisables personnes ».
Elles sont ainsi à cause du mal qu’elles ont commis par le passé. Bien qu’elles aient reçu forme humaine, elles n’ont aucun désir de poursuivre le Dharma pour l’amour du Dharma, et ainsi lorsqu’elles rencontrent l’authentique Dharma, elles en sont rejetées.
Leur corps, leur esprit, leurs os, leur chair n’ont jamais vécu en suivant le Dharma, et elles ne sont pas en mutuelle harmonie avec lui; elles ne le reçoivent pas et n’en usent pas.
Les fondateurs de sectes, certains enseignants et disciples ont longuement maintenu une telle transmission fallacieuse. Ils expliquent l’esprit d’éveil comme s’il s’agissait d’un rêve défraîchi. Comme c’est pitoyable ! Etant nés sur la montagne du trésor, ils ne savent même pas de quel trésor il s’agit, ils n’en voient aucun. Comment pourraient-ils accéder au trésor du Dharma?
Après avoir établi l’esprit d’éveil, même lorsqu’ils traverseront le cycle des six stades et les quatre sortes de renaissance, les causes et les conditions de ce cycle deviendront les actions et les vœux de l’état d’éveil. C’est pourquoi, même après avoir gâché un temps précieux par le passé, ils devraient tant que leur vie présente le leur permet, et sans délai exprimer le vœu suivant :
« Je souhaite, m’associant à tous les êtres vivants, que tous nous puissions entendre le Dharma authentique pendant cette vie et toutes celles qui suivront. Si je suis en mesure de l’entendre, je n’en douterai jamais, et je ne cesserai jamais d’y croire. Lorsque je rencontre le véritable Dharma, je quitterai les règles du commun et recevrai et protègerai le Dharma du Bouddha de sorte que cette Terre et tous les êtres sensibles puissent finalement réaliser ensemble la vérité. »
Si nous prononçons ce vœu, il deviendra naturellement la cause et les conditions pour l’établissement de l’esprit authentique. Ne négligez pas cette attitude, ne vous en lassez pas. Dans notre pays, ce Japon qui n’est qu’un petit coin perdu au-delà des océans, l’esprit de nos concitoyens est extrêmement borné. Depuis les temps anciens, aucun saint n’est né ici, ni aucun sage ainsi venu : inutile de dire que les véritables hommes de la Voie y sont très rares.
Lorsqu’une personne expose ce qu’est la poursuite de la vérité à des personne qui ne savent même pas de quoi il retourne, le bon conseil offense leurs oreilles, de sorte qu’ils ne réfléchissent pas à leur propre comportement, mais au contraire en prennent ombrage. Comme règle générale concernant les actions et les vœux de l’esprit d’éveil, nous devrions exclure l’intention d’informer les hommes du commun sur notre réalisation, ou sur le fait que nous pratiquons la vérité ; nous devrions nous efforcer de rester inconnus. Comment pourrions-nous a fortiori fanfaronner?
Etant donné que de nos jours bien peu recherchent la chose réelle, lorsque quiconque du commun se dispose à leur faire éloge, ils semblent désirer qu’on proclame haut et fort que leur pratique et leur compréhension se sont harmonisées, alors même que leur corps ne réalise aucune pratique, et leur esprit aucune réalisation. « Ajouter des illusions aux illusions » décrit clairement cette attitude. Nous devons absolument rejeter complètement cette erreur.
Lorsque nous poursuivons la vérité, ce qu’il est difficile de voir et d’entendre est une attitude juste de l’esprit fondée sur le Dharma authentique. L’attitude juste de l’esprit est le point transmis et reçu par les bouddhas, de bouddha à bouddha. Cela a été transmis et reçu comme lumière et esprit des Bouddhas. Depuis les temps où le Tathagata était de ce monde, jusqu’à nos jours, beaucoup ont apparemment considéré que notre préoccupation, en tant que chercheurs de la Voie, est la renommée et le gain.
Cependant, si après avoir rencontré l’enseignement d’un Maître authentique, ils font demi-tour et poursuivent sincèrement le Dharma, naturellement ils atteindront la vérité. Nous devons être conscients que la maladie que j’ai décrite est présente de nos jours parmi nous autres chercheurs de la Voie.
Par exemple, parmi les débutants et les novices, et même parmi les anciens ayant une longue pratique, certains recoivent réellement la transmission et respectent le comportement juste, et d’autres non. Certains semblent naturellement aptes à apprendre et respectent les anciens maîtres. Certains au contraire sont pareils à des démons qui ne veulent rien apprendre. Nous ne devons aimer ni détester aucun des deux groupes. Cependant comment ne pas en concevoir du regret ? Comment ne pas en prendre ombrage ? Peut-être que nul n’en prend ombrage parce que presque personne n’a reconnu les trois poisons pour ce qu’ils sont.
De plus, nous devrions toujours nous rappeler la détermination qui nous animait lorsque nous avons commencé à poursuivre dans la joie la vérité du Bouddha. C’est-à-dire que lorsque nous établissons premièrement la décision de pratiquer, nous n’avons pas d’autre préoccupation, et ayant rejeté la renommée et le gain, nous ne les recherchons plus : nous nous contentons de pratiquer d’un seul esprit. Nous ne sommes pas concernés par l’espoir de la vénération et des offrandes de rois ou de ministres. Néanmoins, de telles causes et conditions créant la recherche de la renommée et du gain sont présentes de nos jours. Rappelons-nous qu’elles ne sont pas notre but originel, ni l’objet que nous poursuivons. Etre entravé dans les chaînes qui emprisonnent les humains comme les dieux n’est vraiment pas une chose à laquelle nous puissions aspirer.
Malgré tout, des personnes insensées, même parmi celles qui poursuivent la vérité, oublient rapidement leur résolution originelle et s’attachent à tort aux offrandes des êtres humains et des dieux, s’en jugeant dignes parce que le mérite du Dharma du Bouddha s’est associé à eux. S’il est fréquent de recevoir les dévotions des rois et des ministres, ces insensés pensent : C’est la réalisation de ma propre grandeur morale. C’est l’un des démons qui guettent les pratiquants de la Voie. Bien que nous ne devions pas oublier l’esprit de compassion, nous ne devons pas nous réjouir de recevoir des dévotions. Rappelons-nous ces mots du Bouddha qui valent de l’or : « Même du vivant du Tathagata, il en est beaucoup qui ressentent haine et jalousie. » Tel est le principe selon lequel les idiots ne reconnaissent pas les sages, et les insectes considèrent les saints comme leurs ennemis.
Plus encore, beaucoup parmi les anciens Maîtres indiens ont même été tués par des non-bouddhistes, des adeptes des deux véhicules, des rois et ainsi de suite ; ceci ne résultant jamais ni d’une supériorité de vue de la part de ceux-là, ni d’un manque de vision éclairée de la part des anciens Maîtres.
Après que Maître Bodhidharma soit venu de l’ouest, il suspendit son bâton de pèlerin dans les montagnes Suzan, mais ni Bu de la dynastie Liang ni l’empereur de la dynastie Wei ne le connaissait. A cette époque, il y avait deux chiens appelés Bodhiruci Sanzo et Kozu versé dans les préceptes. Craignant que leur renommée vide et leurs gains iniques puissent être contrecarrés par une personne authentique, ils se comportèrent comme s’ils espéraient anéantir le soleil dans le ciel.
Ils étaient encore pires que Devadatta, qui vécut du vivant du Bouddha. Comme ils sont lamentables ! La renommée et le profit, qu’ils recherchent si avidement, est encore plus dégoûtante qu’un tas immondices. Qu’une telle chose se produise ne résulte aucunement d’une quelconque imperfection dans le pouvoir du Dharma du Bouddha.
Etant donné que certains chiens aboient contre les personnes de bien, ne nous en soucions pas. Ne leur en tenons pas rigueur. Emettons le vœu de les guider et de les conduire. Expliquons-leur : « Bien que vous soyiez des animaux, vous devriez réaliser l’esprit de la Voie. »
Un sage Maître des temps anciens a dit : « Ceux-ci ne sont que des animaux à visage humain. »Mais il peut aussi exister une certaine espèce de démon qui leur est dévoué et offre de les servir. Un précédent bouddha a déclaré « Ne vous approchez pas des rois, des princes, des ministres, des régents, des brahmanes ou des gens ordinaires. »Ceci est la forme de comportement authentique qu’adoptent ceux qui désirent apprendre la Voie du Bouddha, ne l’oublions pas. Lorsque des bodhisattvas commencent leur apprentissage, leur vertu s’accumule en accord avec leurs progrès.
Il y eut des exemples depuis les temps les plus anciens du dieu Indra s’incarnant pour tester la résolution d’un pratiquant, ou de démons cherchant à gêner l’exercice d’un pratiquant. Ces choses ne se produisent que tant que le pratiquant n’a pas résolu de se débarrasser de la renommée et du gain. Lorsque l’esprit de grande bienveillance et de grande compassion est profond, et lorsque le vœu de sauver tous les êtres est mûr, ces perturbations ne surgissent plus.
Il existe des cas où le pouvoir de la pratique s’étend même à toute une nation. Il y a d’autres cas où un pratiquant semble avoir atteint la fortune de ce monde. A ce moment, il faut réexaminer attentivement son cas. Ne nous endormons pas sans garder un œil sur les cas particuliers. Les gens agités se délectent de la fortune matérielle, pareils à des chiens stupides qui lèchent un os désséché. Les sages et les saints la détestent, exactement comme les gens de ce monde détestent les ordures et les excréments.
En règle générale, les pensées sentimentales d’un débutant ne peuvent pas même imaginer la vérité du Bouddha – le débutant comprend rationnellement, mais il n’atteint pas la cible. Quand bien même nous ne comprenons rien au début, nous ne devrions pas dénier l’existence de la parfaite réalisation en tant qu’état ultime. Les profondeurs intimes de la réalisation sont au-delà de la conscience superficielle du débutant.
Le débutant doit donc simplement s’efforcer, à travers son comportement concret, de suivre les traces des maîtres anciens. A ce moment-là, en rencontrant les maîtres et en recherchant la vérité, il y a bien des montagnes à franchir et des océans à traverser. Lorsque nous recherchons un bon guide, ou espérons rencontrer un ami de bien, il en descend un du paradis, ou il en surgit un des profondeurs de la terre. Là où nous le rencontrons, il conduit les êtres sensibles tout autant que les êtres insensibles à prêcher la vérité, et nous écoutons avec notre corps et avec notre esprit.
Ecouter avec les oreilles est le plat de nos repas quotidiens, mais écouter le son avec les yeux est l’essentiel ou le non-essentiel lui-même. En rencontrant Bouddha, nous nous rencontrons nous-mêmes en tant que Bouddha, nous rencontrons les autres en tant que Bouddha, nous rencontrons des grands bouddhas et des petits bouddhas. Inutile d’être surpris ou apeuré par un grand bouddha. Inutile de douter ou de s’inquiéter face à un petit bouddha. Les grands bouddhas et les petits bouddhas dont je parle ici sont reconnus dans l’instant présent, comme la forme des montagnes et la voix des vallées.
En eux la Longue et Vaste Langue surgit, et les 84000 sutras s’actualisent ; la manifestation est complètement transcendante, et la vision est unique et exceptionnelle. Pour cette raison, les gens du siècle disent : « Cela devient de plus en plus haut, et de plus en plus raide. » Et un bouddha du passé a dit : « Cela pénètre le ciel et l’horizon. »
Les épines printanières possèdent une fraîcheur constante, et le chrysanthème automnal renferme une sublime beauté, ils n’en sont pas moins directs et concrets. Lorsque de bons conseillers apparaissent en notre Terre, ils peuvent devenir de grands maîtres pour les humains comme pour les dieux. Comment ceux qui ignorent les épines printanières et le chrysanthème automnal pourraient-ils avoir même la valeur de leurs sandales de paille ? Comment trancheront-ils la racine ?
Si l’esprit ou la chair deviennent paresseux ou mécréants, nous devrions de tout notre cœur nous en confesser devant le Bouddha. Lorsque nous accomplissons cela, le pouvoir de la vertu de la confession nous sauve et nous purifie. Cette vertu peut promouvoir une foi pure et un courage sans entraves. Une fois que la foi pure s’est révélée, soi-même autant que le monde extérieur sont mis en branle, et le bénéfice atteint universellement les êtres sensibles comme les êtres insensibles.
L’intention générale de la confession est comme suit :
« Je prie pour que malgré toutes les mauvaises actions que j’ai accumulées par le passé, l’une après l’autre, et qui constituent des causes et conditions qui obstruent la vérité, les bouddhas et les patriarches qui ont atteint la vérité en suivant la Voie du Bouddha montrent de la compassion à mon égard, qu’ils fassent en sorte de dissoudre ces accumulations karmiques, et qu’ils balaieront les obstacles vers la vérité. Puisse leur vertu, à travers leurs portes du Dharma, emplir et pénétrer le monde illimité du Dharma. Qu’il me soit donné de partager leur compassion. Dans le passé, les patriarches bouddhistes étaient pareils à nous-mêmes, et dans le futur nous pourrons à notre tour devenir des patriarches bouddhistes. Lorsque nous contemplons les patriarches bouddhistes, ils sont un seul et même patriarche bouddhiste, et lorsque nous réfléchissons à l’établissement de l’esprit juste, il est un et même. Lorsque les patriarches bouddhistes font irradier leur compassion dans toutes les directions, nous pouvons saisir des opportunités favorables et les rencontrer. C’est conforme aux paroles de Ryuge : ‘Si nous n’avons pas atteint la perfection dans nos vies passées, nous devrions l’atteindre dans le présent. Avec cette seule vie nous pouvons délivrer le corps constitué de l’accumulation de toutes ces vies passées. Les bouddhas éternels, avant qu’ils n’atteignent la réalisation, étaient pareils aux gens ordinaires. Après avoir réalisé la vérité, les gens ordinaires qui nous côtoient seront des bouddhas éternels. »
Calmement, nous devrions nous approprier ce raisonnement. Ceci est l’expérience directe de la réalisation de la boddhéité. Lorsque nous nous confessons ainsi, l’aide mystique des patriarches Bouddhistes se rend invariablement présente. Divulguant les pensées de notre esprit et la forme de notre corps, nous devrions nous confesser au Bouddha. Le pouvoir de la confession dissout les racines des mauvaises actions. Ceci est une pratique pure ; cela constitue la foi juste du corps et de l’esprit.
Lorsque nous pratiquons de cette manière juste, la voix de la vallée, la forme de la vallée, la forme des montagnes et la voix des montagnes dévoilent leurs 84000 soutras. Lorsque le moi ne regrette ni la renommée ni le gain, ni le corps ni l’esprit, la vallée et les montagnes à leur tour ne s’attachent à rien. Même si la voix de la vallée et la forme des montagnes continue toute la nuit à produire et à non-produire 84000 soutras, si vous n’avez pas encore compris malgré tous vos efforts que les vallées et les montagnes exposent seulement leur existence de vallées et de montagnes, qui pourra vous voir et vous entendre en tant que voix de la vallée et forme des montagnes ?
SHOBOGENZO
Traduction Française du Shobogenzo, œuvre majeure de Maître Dogen.