BENDOWA


Bendowa signifie: « conversation au sujet de la Loi », où il faut comprendre le terme Loi comme le DHARMA(S) du Bouddha.

Maître Dogen a ajouté tardivement ce chapitre en introduction générale du Shobogenzo, ce qui explique sa longueur inhabituelle. Il y livre une profession de foi qui démontre que son œuvre est conçue dès le départ comme un legs aux générations futures, il répond également sous forme de dialogue à toutes les critiques de l’époque, et déracine les fausses conceptions sur la transmission du Bouddha, qui n’est autre que shikantaza.

 

 

Lorsque les Bouddhas-Tathagatas, ayant chacun reçu la transmission de l’insurpassable Dharma, actualisent l’Éveil parfait, ils détiennent une méthode subtile qui est suprême et sans intention. La raison pour laquelle cette méthode est transmise sans écart uniquement de Bouddha à Bouddha, est que son principe réside dans le samadhi de la joie de son propre Éveil. Pour jouir de ce samadhi, la pratique de Zazen, dans la rectitude de la posture assise, a été établie comme la porte authentique. Ce Dharma est abondamment présent dans chaque être humain, mais si nous ne le pratiquons pas, il ne se manifeste pas ; et si nous n’en faisons pas l’expérience, il ne peut être réalisé.

Dès que nous lâchons prise, il nous remplit les mains; comment pourrait-on le comptabiliser? Lorsque nous en parlons, il nous remplit la bouche et demeure inexprimable; il n’a aucune limite dans quelque direction que ce soit. Tandis que les Bouddhas demeurent constamment dans cet état et le protègent, les sensations ou les perceptions ne leur apparaissent pas comme des aspects indépendants de la réalité; et tandis que les êtres vivants sont soumis éternellement à cet état, il en est de même.

L’effort de poursuivre la vérité que j’enseigne maintenant transforme la multitude des phénomènes en une seule expérience réelle; il promulgue l’unité de la réalité sur la Voie de la libération. Au moment où les barrières tombent et où on se libère, comment un quelconque enseignement pourrait-il être approprié?

Après avoir fermement établi ma décision de rechercher le Dharma, j’ai rendu visite à divers maîtres aux quatre coins de notre pays. J’ai rencontré Myozen du temple Kennin. Neuf hivers et neuf printemps passèrent rapidement tandis que je le suivais, me familiarisant quelque peu avec les méthodes de la lignée Rinzai. Seul Myozen avait reçu la transmission authentique du suprême Dharma du Bouddha, en tant que disciple le plus excellent du maître fondateur, Maître Eisai – les autres disciples ne lui arrivaient pas à la cheville. Ensuite je partis pour le grand royaume de Sung, rendant visite à des maîtres à l’est et à l’ouest de Chekiang et entendant l’enseignement de la tradition par les portes des cinq lignées. Enfin je rendis visite au maître zen Nyojo de la montagne de Dai-byaku-ho, et je fus grâce à lui en mesure de mettre en œuvre la grande tâche d’une vie dévouée à la pratique.

Après cela, au début de la Grande ère Sung de Shojo, je rentrai chez moi résolu à répandre le Dharma et à sauver les êtres vivants – je me sentais porteur d’un lourd fardeau. Néanmoins, en attendant une opportunité qui me permettrait de m’acquitter du sens de ma mission, je pensais que je pourrais passer quelque temps à voguer comme un nuage, flottant de ci de là comme une herbe dans le courant, à la manière des sages des temps anciens.
Pourtant je considérai alors que s’il se trouvait quelques pratiquants sincères dont la priorité fût la recherche de la vérité, naturellement insouciants de la renommée et du profit, il se pourrait hélas qu’ils soient vainement trompés par de faux maîtres qui jetteraient ainsi un voile inutile sur la véritable compréhension. Ils pourraient négligemment s’enivrer de leur propre aveuglement et sombrer pour toujours dans l’illusion. Comment seraient-ils alors capables de cultiver les germes authentiques de la sagesse prajna et auraient-ils l’opportunité d’atteindre la vérité? Si j’étais absorbé à ce moment dans la vie flottante d’un nuage ou d’une herbe dans le courant, quelle montagne et quelle rivière devraient-ils visiter?

Sentant à quel point ceci risquait de créer une situation déplorable, je décidai de rédiger un recueil des règles et des préceptes que j’avais expérimentés moi-même dans les monastères zen du grand Royaume de Sung, en même temps qu’un traité des instructions profondes de mon maître que j’avais reçues et protégées. Ainsi je laisserai ce recueil à ceux qui souhaitent approfondir la pratique et qui sont intimes avec la vérité, de sorte qu’ils puissent connaître l’exact Dharma de la lignée du Bouddha. Voilà qui constituerait selon moi une mission authentique.

*

 

 

 

Le grand maître Shakyamuni lors du sermon sur le Mont des Vautours transmit le Dharma à Mahakashyapa. Le Dharma fut transmis authentiquement de patriarche à patriarche jusqu’au Vénérable Bodhidharma. Le Vénérable lui-même alla en Chine et transmit le Dharma au Grand Maître Eka. Ce fut la première transmission du Dharma du Bouddha en Chine. Transmis de personne à personne de cette manière, le Dharma arriva naturellement ainsi jusqu’au maître zen Daikan, le Sixième Patriarche.

À cette époque, tandis que le véritable Dharma du Bouddha se répandait à travers la Chine, il apparut clairement que la transmission était au-delà des textes. Le Sixième Patriarche eut deux excellents disciples, Nangaku Ejo et Seigen Gyoshi. Les deux ayant reçu et protégé la posture du Bouddha, furent des guides pour les êtres humains comme pour les dieux. Le Dharma fleurit et s’épanouit dans ces deux courants, puis cinq lignées en dérivèrent. Ces sectes sont appelées Hogen, Igyo, Soto, Unmon et Rinzai.

En Chine, de nos jours, seule la secte Rinzai prédomine partout dans le pays. Bien qu’il y ait des différences entre les cinq traditions, la posture au sceau de l’esprit du Bouddha est unique. Même dans le grand empire de Chine, bien qu’à la fin de la dynastie Han des textes bouddhistes aient tout d’abord été disséminés dans tout le pays, et aient laissé une certaine empreinte, personne n’était en mesure de déterminer lesquels étaient ou non éminents. Dès lors que le Maître Ancien fut venu de l’Ouest, il trancha cette confusion à la racine et répandit le Dharma du Bouddha sans écart. Nous devrions vivement souhaiter la même chose se produise dans notre pays.

Les soutras disent que les innombrables Bouddhas et patriarches qui ont demeuré dans le Dharma du Bouddha et et l’ont protégé, placèrent tous leur foi en l’assise verticale dans le samadhi de la joie de son propre Éveil, et considéraient cette pratique comme la voie véritable d’accès à la réalisation. Les êtres humains qui ont atteint la vérité, que ce soit en Inde ou en Chine, ont suivi cette pratique. Elle repose sur la transmission authentique et intime de la méthode subtile de maître à disciple, et la capacité à recevoir et protéger l’essence véritable des enseignements.

Dans la transmission authentique de notre école, il est dit que ce Dharma du Bouddha, qui a été transmis véritablement et directement de personne à personne, est la pratique suprême entre toutes. Dès notre première rencontre avec un véritable maître nous n’avons plus besoin de brûler de l’encens, de nous prosterner, de réciter le nom du Bouddha, de pratiquer la confession ou de lire les soutras. Il suffit seulement de s’asseoir et de se libérer du corps et d’esprit. Si un seul être humain, même pendant un seul instant, manifeste la posture du Bouddha dans l’attitude juste du corps et de l’esprit, alors, tandis même que cette personne est assise droite en samadhi, le monde entier du Dharma est inclus dans la posture du Bouddha et l’Espace tout entier atteint la réalisation. Donc cette pratique accroît la joie du Dharma qui est l’état originel des Bouddhas-Tathagatas, et réactualise la splendeur de leur réalisation de la vérité.

Qui plus est, à travers les mondes du Dharma dans les dix directions, le corps-esprit des êtres ordinaires des trois mondes et des six chemins devient transparent et pur; ils font l’expérience d’une grande libération, et leur visage originel apparaît. Alors tous les phénomènes expérimentent et comprennent la réalisation authentique et la multitude des existences livrent leur corps de Bouddha à la pratique; en un seul instant, transcendent totalement les limites de l’expérience de la compréhension; sont assis royalement sous l’arbre de la Bodhi; en un seul moment, activent la grande roue du Dharma qui est incomparable stabilité; et prêchent la sagesse prajna, ultime, dépouillée et profonde.

Cette réalisation juste et stable influence en retour le pratiquant, par le biais d’une interaction intime et invisible, de sorte qu’il se libère rapidement de son corps et de son esprit, abandonne les diverses vues erronées et le karma de la pensée, et expérimente ainsi le Dharma du Bouddha pur et naturel. À travers chacun des innombrables et inconcevables sièges de vérité des Bouddhas-Tathagatas, le pratiquant révèle l’œuvre du Bouddha et répand son influence très au-delà de lui-même et même jusqu’aux anciens éveillés, ravivant leur authentique boddhéité.

À ce moment, toutes choses dans l’univers dans les directions – le sol, la terre, l’herbe et les arbres; les barrières, les tuiles et les cailloux – réalisent l’Éveil du Bouddha. Les personnes qui reçoivent le mérite qui en provient sont intimement aidées par l’influence subtile et inconcevable de Bouddha, et exposent leur réalisation immédiate. Tous les êtres qui en jouissent répandent l’influence de Bouddha dans son expérience originelle, et de même ceux qui les côtoient sont tous réciproquement parés de la vertu sans limite de Bouddha.

Étendant et dispensant leur activité bien au-delà d’eux-mêmes, ils imprègnent l’intérieur et l’extérieur de l’univers entier du Dharma du Bouddha sans limite, incessant, inconcevable et incommensurable. Celui-ci n’est cependant pas obscurci par les conceptions de ces individus, car cet état de tranquillité sans intention est une expérience directe. Si nous séparons la pratique-expérience en deux parties selon la pensée couramment répandue, chaque partie peut être perçue et comprise séparément. Si nous mélangeons au contraire la perception et la compréhension, cela n’est pas pour autant conforme à l’expérience de cette réalisation, car cette expérience est au-delà des émotions illusoires. Bien que dans cette tranquillité, l’esprit et le monde extérieur atteignent ensemble la réalisation, il s’agit en réalité de la joie de son propre Éveil.

Pour cette raison les mouvements de l’esprit ou du monde extérieur, sans déranger la moindre molécule, accomplissent ensemble l’œuvre vaste et sans limite du Bouddha et dispensent son influence profonde et subtile. L’herbe, les arbres, le sol et la terre touchés par cette influence rayonnent d’une grande lumière et enseignent sans fin le Dharma subtil et profond.

L’herbe, les arbres, les barrières les murs enseignent à toutes les existences, personnes ordinaires comme aux saints. Et réciproquement, toutes les existences, ordinaires ou saintes, enseignent à l’herbe, aux arbres, aux barrières et aux murs. Le monde de notre conscience comme le monde de la conscience des objets extérieurs ne manquent de rien -ils sont d’ores et déjà dotés de la forme concrète de l’expérience réelle. L’expérience réelle de l’Éveil, une fois activée, ne cesse pas un seul moment.

Zazen, même s’il s’agit d’une seule personne assise un seul instant, entre donc en interaction invisible avec tous les phénomènes, et pénètre complètement tous les temps; pour cette raison il réalise dans tout l’univers illimité l’œuvre éternelle de l’influence bénéfique de Bouddha dans le passé, le futur et le présent. Pour chacun c’est exactement la même pratique et la même expérience. La pratique ne se borne pas seulement à l’assise; elle perfore l’espace et entre en résonance, comme le son d’un coup de cloche. Comment pourrait-elle être limitée à un seul endroit? Toutes les choses qui nous environnent détiennent le visage originel de la pratique; c’est au-delà de notre compréhension.

Sachez que même si les Bouddhas innombrables des dix directions, aussi nombreux que les grains de sable du Gange, unissaient tous leurs pouvoirs et toute leur sagesse pour évaluer ou expliquer le mérite de Zazen d’une seule personne, ils ne pourraient pas même s’en approcher.

 

*

 

Désormais nous savons à quel point le mérite de ce Zazen est élevé et immense. Cependant une personne bornée pourrait faire part de ses doutes et demander:

 

« Il y a beaucoup de portes qui conduisent au Dharma du Bouddha. Pourquoi recommandez-vous seulement l’assise en Zazen? »

 

Je dirais:

 

-          Parce que c’est la porte authentique du Dharma du Bouddha.

 

Si quelqu’un demandait:

 

-          Pourquoi est-ce selon vous la seule porte authentique?

 

Je dirais:

 

-              Le grand maître Shakyamuni a transmis exactement, comme tradition véritable, cette méthode subtile pour atteindre la vérité, et les Tathagatas des trois temps ont tous atteint la vérité à travers Zazen. Donc le fait que Zazen soit la seule porte authentique a bien été transmis et reçu. Ajoutons que les patriarches d’Inde comme de Chine ont tous atteint la vérité à travers Zazen. C’est pourquoi j’enseigne à présent aux êtres humains comme aux dieux que Zazen est la porte authentique.

 

Si quelqu’un demandait:

 

-              Ce qui repose sur la réception de la transmission authentique de la méthode subtile du Tathagata, ou sur le fait de suivre les traces des maîtres anciens, est certainement au-delà de la compréhension de l’homme du commun. Lire les sutras et réciter le nom des Bouddhas, cependant, peut créer naturellement les causes et les conditions de l’illumination. Mais en ce qui concerne s’asseoir paresseusement sans rien faire, comment cela peut-il constituer le moyen d’atteindre l’illumination?

 

Je dirais:

 

-              Si vous pensez que le samadhi des Bouddhas, le grand et suprême Dharma, est comparable à s’asseoir paresseusement sans rien faire, vous calomniez gravement le Grand Véhicule. Une telle illusion est si profonde que c’est comparable à flotter sur l’océan est affirmer qu’il n’y a pas d’eau. En Zazen nous sommes d’ores et déjà assis, stables et pleins de gratitude, dans le samadhi des bouddhas, jouissant de notre propre Éveil. N’est-ce pas là en soi l’accomplissement de notre vaste et grande nature? Il est déplorable que vos yeux ne se soient pas encore ouverts et que votre esprit demeure dans les brumes de sa propre stupeur.

Quoiqu’il en soit, la condition d’esprit des Bouddhas est inconcevable: l’intelligence ne peut l’atteindre. A fortiori comment l’incrédulité ou la sagesse ordinaire le pourraient-elles? Seules des personnes de grande détermination et à la foi juste peuvent y entrer. Quant aux incrédules, même si on leur enseigne, il leur est difficile de recevoir – même sur le Mont des Vautours il y eut des personnes au sujet desquelles le Bouddha a dit:  » elles pourraient tout aussi bien se retirer. » En règle générale, lorsque la foi juste apparaît dans notre esprit, nous devrions pratiquer et apprendre. Sinon, autant rester couché. Déplorez-le si vous voulez, mais depuis les temps anciens le Dharma a toujours été abrupt.

J’ajouterais ceci: pouvez-vous me citer une seule vertu qui ait été atteinte par des pratiques telles que lire des sutras et réciter les noms des Bouddhas? Il est douteux de penser qu’agiter la langue et élever la voix aient la vertu de l’œuvre du Bouddha. Lorsque l’on compare de telles pratiques au Dharma du Bouddha, elles paraissent extrêmement pâles et même inconsistantes.

 

Qui plus est, il est en usage actuellement de compulser les sutras pour clarifier les critères que le bouddha aurait enseignés sur l’éveil instantané ou graduel ; or ceux qui pratiquent en accord avec l’enseignement atteignent invariablement l’expérience réelle de l’Éveil ! C’est complètement autre chose qu’espérer acquérir la vertu de la Bodhi par de vains efforts intellectuels. Tenter d’atteindre la vérité du Bouddha par l’action de la bouche en chantant comme un crétin -même mille ou dix mille fois- revient à espérer atteindre le sud d’Etsu en empruntant un chariot qui va au nord, ou encore vouloir forcer une cheville carrée dans un trou rond. Lire de telles phrases en ignorant la pratique est comme étudier la médecine sans apprendre à fabriquer les remèdes. À quoi bon? Ceux qui chantent sans fin sont comme des grenouilles coassant en jour et nuit dans une rizière au printemps.

En définitive tout cela est parfaitement vain. Il est encore plus difficile pour les personnes qui sont perturbées en profondeur par la réputation et le profit d’abandonner de telles sornettes. L’esprit qui s’attache au gain est très enraciné, il devait en être de même dans les temps anciens. Comment ne serait-ce pas le cas dans le monde actuel? C’est ce qui est le plus regrettable.

Sachez simplement que lorsqu’un pratiquant suit directement un maître qui a atteint la vérité et clarifié son esprit, lorsqu’il se conforme à cet esprit dans son expérience et sa compréhension, et donc reçoit la transmission authentique du Dharma subtil des sept Bouddhas, alors l’enseignement exact apparaît clairement, est reçu et protégé. Ceci est au-delà de la compréhension des enseignants du Dharma qui s’en tiennent aux mots. Tranchez donc vos doutes et vos illusions, et en suivant l’enseignement d’un maître véritable, atteignez l’expérience du samadhi de la joie de son propre Éveil, en pratiquant l’assise en Zazen et en poursuivant la vérité.

 

Si quelqu’un demandait:

 

-              Le sutra du Lotus et l’enseignement du sutra de la Guirlande, qui ont été transmis dans notre pays, sont les expressions ultimes du Grand Véhicule. De plus, dans la secte Shingon, cette transmission est passée directement du Tathagata Vairocana à Vajra-sattva, de sorte que cette transmission de maître à disciple ne doit rien au hasard. Pour citer les principes dont elle discute:  » l’esprit ici maintenant est bouddha » et  » cet esprit devient bouddha« , elle proclame que nous recevons la juste réalisation des cinq Bouddhas en une seule assise, sans avoir à pratiquer pendant de nombreux kalpas. On peut dire que c’est là le raffinement ultime du Dharma du Bouddha. Alors qu’y a-t-il de si excellent dans la pratique que vous recommandez uniquement, à l’exclusion des autres?

 

Je dirais:

 

-              Sachez qu’entre bouddhistes nous ne débattons pas de l’éminence de telle ou telle théorie, ni ne spéculons sur la légèreté ou la profondeur du Dharma; il suffit seulement de savoir si la pratique est authentique ou contrefaite. Certains sont entrés dans le courant sur l’invitation de l’herbe, des fleurs, des montagnes et des rivières. D’autres ont reçu et protégé le sceau du Bouddha en se saisissant du sol, des pierres, du sable et des graviers. De plus le Dharma vaste et grand est encore plus abondant que la multitude des phénomènes. L’activation de la grande roue du Dharma est contenue dans chaque molécule. Puisqu’il en est ainsi, les termes  » l’esprit ici maintenant est bouddha » sont seulement l’image de la lune dans l’eau et l’idée selon laquelle  » seulement s’asseoir est devenir bouddha » n’est également qu’un reflet dans le miroir. Nous ne devrions pas nous laisser impressionner par des paroles habiles.

En revanche, en vous recommandant la pratique dans laquelle l’Éveil est directement expérimenté, j’ai l’espoir de vous exposer la vérité subtile que les patriarches bouddhistes ont transmise de personne à personne, et de faire ainsi de vous de véritables hommes de la Voie. En ce qui concerne la transmission du Dharma du Bouddha, nous devons toujours suivre un Maître qui a réellement expérimenté la boddhéité : suivre un lettré qui s’en tient aux textes ne suffira jamais ; c’est seulement un aveugle parmi d’autres.

Dans ce qui a trait à la lignée de la transmission authentique des patriarches bouddhistes, nous révérons tous les Maîtres sages qui ont atteint la vérité et expérimenté l’Éveil, et nous soutenons fermement qu’ils ont demeuré dans le Dharma et l’ont protégé. C’est pourquoi, lorsque des shintoïstes des écoles yin ou yang viennent se dévouer à la Voie, et lorsque des arhats qui ont expérimenté l’état ultime viennent à la recherche du Dharma, nous leur délivrons sans écart la méthode pour clarifier leur mental. Voilà quelque chose dont on n’a jamais entendu parler concernant les autres lignées.

Les disciples du Bouddha devraient s’en tenir seulement au Dharma du Bouddha. De plus, nous devons garder à l’esprit que personne n’a jamais manqué un seul instant de la nature de Bouddha, et que de même à l’avenir nous pourrons toujours la réaliser et en jouir. En même temps, parce que nous ne pouvons pas la percevoir directement, nous sommes enclins à engendrer toutes sortes de conceptions oiseuses, et du fait que nous les poursuivons comme si elles étaient réelles, la grande vérité nous échappe.

A partir de ces idées, toutes sortes d’abstractions émergent : nous considérons le cycle des causes et des effets et les vingt-cinq sphères de l’existence et les idées des trois chemins et des cinq véhicules ou de posséder ou non la nature de Bouddha nous jettent sans fin dans le trouble. Inutile de croire que la maîtrise de tels concepts puisse être le véritable chemin de la pratique bouddhiste !

Simplement assis en Zazen en revanche, nous reposant sur l’exacte posture du Bouddha, et laissant passer tous les phénomènes, nous dépassons toutes notions d’illusion, de réalisation, d’émotion et de rétribution, et nous sommes instantanément au-delà du profane et du sacré. D’un seul coup nous rejetons tout cadre intellectuel, recevant la boddhéité et en jouissant.

 

Si quelqu’un demandait :

 

-              Parmi les trois préceptes il y a l’état d’équanimité, et parmi les six paramitas la paramita du dhyana : deux pratiques enseignées à tous les bodhisattvas dès le départ et qu’ils pratiquent, qu’ils soient intelligents ou stupides. Le Zazen dont vous parlez est sûrement seulement l’une de ces pratiques. Pourquoi dites-vous que le véritable Dharma du Tathagata est concentré seulement dans cette pratique de Zazen ?

 

Je dirais:

 

-              Cette question surgit seulement parce qu’on a appelé « Secte Zen » la méthode suprême et excellente : le trésor de l’œil de la vraie Loi, qui est la seule grande affaire du Tathagata. Sachez que ce nom de « Secte Zen » fut établi en Chine et à l’est de notre pays; il n’en a jamais été question en Inde. Lorsque le Grand Maître Bodhidharma s’établit tout d’abord au temple Shaolin des pics Sung-shan, puis s’assit face au mur pendant neuf années, les moines et les laïcs ignorants du véritable Dharma du Bouddha pensèrent qu’il n’était qu’un brahmane qui avait fait de Zazen un culte. Par la suite, les patriarches des générations suivantes se dévouèrent tous constamment à Zazen. Les gens ordinaires voyant cela, à cause de leur sottise et de leur méconnaissance de la réalité, parlèrent sans réfléchir de Secte Zazen. De nos jours, éliminant le préfixe « Za », ils parlent simplement de Secte Zen. Cette interprétation ressort clairement des écrits des patriarches.

En tout état de cause Zazen n’est pas l’état de stabilité du dhyana décrit dans les six paramitas et les trois préceptes. Le fait que ce Dharma du Bouddha soit l’objet légitime de la transmission de personne à personne à travers les âges n’a jamais été dissimulé. Jadis, durant le sermon sur le Mont des Vautours, lorsque le Tathagata certifia le Dharma du Vénérable Mahakashyapa, lui transmettant le trésor de l’œil de la Vraie Loi et l’esprit imperceptible du nirvana, la méthode suprême et excellente, et à lui seul, la cérémonie fut attestée directement par une multitude d’êtres célestes depuis le monde supérieur, si bien qu’il est impossible d’en douter. C’est un principe universel que ces êtres célestes aient à charge de protéger et de maintenir le Dharma du Bouddha éternellement ; leurs efforts n’ont jamais failli. Sachez simplement que cette transmission de Zazen est la vérité complète du Dharma du Bouddha : rien ne peut lui être comparé.

 

Si quelqu’un demandait :

 

-              Pourquoi, lorsque l’on aborde la question de l’entrée dans l’Éveil, les bouddhistes nous recommandent-ils de pratiquer seulement la méditation, qui n’est qu’une des quatre formes de conduite juste ?

 

Je dirais:

 

-               Il est difficile de recenser toutes les manières dont les anciens Bouddhas ont successivement pratiqué depuis les temps anciens pour expérimenter l’Éveil. Si nous voulons absolument trouver une raison, nous devons comprendre que notre pratique en elle-même est la raison. Il n’y en a pas d’autre. Cependant un Maître ancien a loué l’assise en disant : « S’asseoir en Zazen est la porte joyeuse et paisible du Dharma. ». Alors pour conclure la raison si on veut est que des quatre formes de conduite juste, l’assise est la plus paisible et la plus joyeuse. En outre elle n’est pas la voie empruntée par un ou deux bouddhas ; tous les bouddhas et tous les patriarches sans exception détenaient cette voie.

 

Si quelqu’un demandait :

 

-               En ce qui concerne cette pratique de Zazen, une personne qui n’aurait pas encore expérimenté et compris le Dharma du Bouddha pourrait certainement en faire l’expérience en poursuivant la vérité en Zazen. Mais que peut espérer tirer de Zazen une personne qui a d’ores et déjà clarifié l’authentique Dharma du Bouddha ?

 

Je dirais:

 

-               On ne raconte pas ses rêves à un fou, et il est délicat de confier des rames à un montagnard ; néanmoins je me dois de dispenser l’Enseignement. Penser que la pratique et l’expérience de l’Éveil sont deux choses distinctes est une idée de non-bouddhiste. Dans le Dharma du Bouddha la pratique et l’expérience de l’Éveil sont totalement une seule et même chose. Bien : pratiquer est aussi expérimenter l’Éveil ; en conséquence, un débutant dans la poursuite de la vérité est le corps complet de l’Éveil.

C’est pourquoi les patriarches bouddhistes ont enseigné, dans les avertissements qu’ils nous ont légués, de ne pas attendre d’Éveil hors de la pratique. Et la raison en est, encore une fois, que la pratique elle-même est l’expérience directement accessible de l’Éveil originel. Car la pratique est expérience, et cette expérience est illimitée ; et comme l’expérience est la pratique, la pratique n’a pas de commencement. C’est exactement ainsi que le Tathagata Shakyamuni et le Vénérable Patriarche Mahakashyapa furent accueillis et employés par la pratique qui est expérience. Le Grand Maître Bodhidharma et le patriarche fondateur Daikan furent de la même manière tirés et dirigés par la pratique qui est expérience. Tous les exemples de ceux qui ont demeuré dans le Dharma du Bouddha et l’ont maintenu sont ainsi.

La pratique qui n’est jamais séparée de l’expérience existe déjà bel et bien: ayant par bonheur reçu la transmission de personne à personne de notre part d’héritage de la pratique subtile, nous qui sommes débutants dans la poursuite de la vérité possédons directement, dans l’état sans intention, notre part de l’expérience originelle.

Sachez que, de manière à nous empêcher de souiller l’expérience qui n’est jamais séparée de la pratique, les patriarches bouddhistes nous ont enseigné à maintes et maintes reprises de ne pas pratiquer avec relâchement. Lorsque nous nous oublions dans la pratique subtile, l’expérience originelle nous remplit les mains ; lorsque le corps s’abandonne à l’expérience originelle, la pratique subtile agit dans tout le corps.

Qui plus est, j’ai constaté de mes propres yeux en Chine que les monastères Zen de bien des régions avaient tous construit des dojos pouvant accueillir cinq ou six cents pratiquants, voire même mille ou deux mille moines, et qu’on les encourageait à s’asseoir en Zazen jour et nuit. Le dirigeant d’un de ces ordres n’était autre qu’un maître authentique qui avait reçu le sceau de l’esprit du Bouddha. Lorsque je le questionnai sur la grande affaire du Dharma du Bouddha, j’entendis le principe selon lequel la pratique et l’expérience ne sont jamais deux stades distincts.

Pour cette raison, en accord avec l’enseignement des patriarches Bouddhistes, et suivant en cela la voie d’un Maître authentique, il encourageait tout-un-chacun à poursuivre la vérité en Zazen ; non seulement les pratiquants de son ordre, mais également tous les amis de bien à la recherche du Dharma, toutes les personnes qui nourrissaient l’espoir de rencontrer la véritable réalité dans le Dharma du Bouddha, sans discriminer entre les débutants et les anciens, sans distinction entre les gens du commun et les religieux.

N’avez-vous jamais entendu les mots d’un Maître ancien qui disait : « Ce n’est pas qu’il n’y ait pas pratique-et-expérience, mais cela ne doit pas être souillé. » ? Un autre Maître disait : « Qui voit la Voie pratique la Voie. » Rappelez-vous donc bien que même après avoir réalisé l’Éveil, il est nécessaire de pratiquer.

 

Si quelqu’un demandait :

 

-               Les maîtres qui ont jadis disséminé les enseignements à travers notre pays sont tous allés dans la Chine des Tang et y ont reçu la transmission du Dharma. Pourquoi, à cette époque, ont-ils négligé ce principe, et seulement transmis des enseignements intellectuels ?

 

Je dirais:

 

-                La raison pour laquelle les maîtres du temps passé, guides des êtres humains, n’ont pas transmis cette méthode, est que le temps n’en était pas venu.

 

Si quelqu’un demandait :

 

-               Ces maîtres des époques précédentes comprenaient-ils cette méthode?

 

Je dirais:

 

-                S’ils l’avaient comprise, ils l’auraient fait connaître à tous.

 

Si quelqu’un demandait :

 

-               On affirme que nous ne devrions regretter ni la vie ni la mort, car il existe une manière très rapide de s’en libérer, qui consiste à connaître la vérité qui est que l’essence mentale est éternelle. En d’autres termes, ce corps physique, qui est né, se meut nécessairement vers la mort ; mais cette essence mentale ne meurt jamais. Une fois que nous avons été en mesure de reconnaître que l’essence mentale qui n’est pas concernée par l’apparition et la disparition existe dans notre propre corps, nous la voyons comme l’essence originelle. Pour cette raison le corps n’est qu’une forme provisoire ; il meurt ici et renaît là, ne restant jamais constant. Mais l’esprit est éternel ; il est immuable dans le passé, le futur ou le présent. Savoir ceci est appelé ‘Se libérer de la vie et de la mort.’ Ceux qui connaissent ce principe brisent à jamais le cycle de la vie et de la mort et lorsque leur corps meurt, ils entrent dans le monde spirituel. Lorsqu’ils parviennent au seuil du monde spirituel, ils sont parés de vertus merveilleuses pareilles à celles des bouddhas-tathagatas. Même si nous connaissons dès à présent ce principe, notre corps demeure celui qui a été formé par notre comportement illusoire depuis les âges anciens, de sorte que nous ne sommes pas pareils aux saints. Ceux qui ignorent ce principe transmigreront à jamais dans le cycle des vies et morts. C’est pourquoi nous devrions nous empresser de comprendre ce principe selon lequel l’essence mentale est éternelle. Même si nous avons passé notre vie entière dans l’assise paresseuse, que pourrions-nous espérer y gagner ? La doctrine que je viens d’exprimer est bien en accord avec la vérité des bouddhas et des patriarches, n’est-ce pas ?

 

Je dirais:

 

-                 La vue que vous venez d’exprimer n’est absolument pas le Dharma du Bouddha ; c’est la vision erronée du non-bouddhiste Senika. D’après cette vue non-bouddhiste, il y a une intelligence spirituelle qui existe à l’intérieur de notre corps. Lorsque cette intelligence rencontre les circonstances extérieures, elle peut discriminer entre l’agréable et le désagréable, le juste et le faux, elle peut connaître la douleur et l’irritation, la souffrance et le plaisir – toutes ces capacités seraient celles de l’intelligence spirituelle. Lorsque ce corps meurt, cependant, l’esprit s’extrait de la peau et renaît ailleurs ; donc même s’il semble qu’il meure ici il naît là. Pour cette raison nous le qualifions d’immortel et éternel. Telle est la vue de ce non-bouddhiste.

Mais si nous considérons que cette vue est le Dharma du Bouddha, nous sommes encore plus égarés que celui qui ramasse une tuile ou un caillou et les prend pour de l’or ; l’illusion est même trop honteusement profonde pour cette comparaison. Le Maître National Echu de la grande Chine des Tang nous a sévèrement mis en garde contre une telle hérésie.

Si nous mettions sur un même plan la présente vue fausse selon laquelle l’esprit est éternel mais la forme périssable, et le Dharma splendide des bouddhas, pensant que nous avons échappé à la vie et à la mort alors que nous promouvons au contraire l’ignorance qui est la cause originelle de la vie et de la mort, ne serions-nous pas parfaitement stupides ? Voilà qui serait infiniment pitoyable.

Sachant que cette vue erronée n’est que la vue erronée de non-bouddhistes, nous ne devrions même pas y prêter l’oreille. Néanmoins, je ne peux m’empêcher de souhaiter vous protéger de cette vue erronée, et c’est seulement par compassion que je vais m’y efforcer.

Donc sachez bien que, dans le Dharma du Bouddha, comme le corps et l’esprit sont originellement une réalité unique, proclamer que l’essence et la forme sont non-deux a été reçu et entendu tout aussi bien en Inde qu’en Chine, et nous ne devrions pas même oser en douter. De plus, dans les lignées qui débattent de l’existence éternelle, tous les phénomènes sont considérés comme existence éternelle : le corps et l’esprit ne sont pas séparés. Et dans les lignées qui débattent de l’extinction, tous les phénomènes sont extinction : l’essence et la forme ne sont pas séparés. Comment pourrait-on dire, au contraire, que le corps est mortel mais l’esprit éternel ? Cela n’est-il pas contraire à la juste raison ?

Qui plus est, nous devrions réaliser que vivre-et-mourir est en soi le nirvana. Les bouddhistes n’ont jamais parlé d’un nirvana qui serait en dehors de vivre-et-mourir. Et quand bien même nous imaginerions à tort que comprendre la formule selon laquelle l’esprit devient éternel en se libérant du corps est équivalente à la sagesse de Bouddha qui est libération de la vie et de la mort, l’esprit qui est conscient de cette compréhension apparaît et disparaît néanmoins momentanément, de sorte qu’il n’est pas du tout éternel. Par conséquent ce principe n’est-il pas douteux ? Nous devrions y réfléchir soigneusement.

Le principe selon lequel le corps et l’esprit sont une seule et même réalité a été constamment enseigné dans le Dharma du Bouddha. Donc comment se pourrait-il, au contraire, que tandis que le corps est soumis à l’apparition et à la disparition, l’esprit quitte indépendamment le corps et n’apparaisse ni ne disparaisse ? S’il existait un moment où ils sont une seule réalité, et un autre moment où ils ne le sont pas, alors il s’ensuivrait que l’enseignement du Bouddha fût erroné. J’ajoute que si nous pensons que la vie et la mort sont des choses dont il faille se débarrasser, nous offensons le Dharma du Bouddha. Comment pourrais-je ne pas vous mettre en garde contre cela ?

Sachez que la lignée du Dharma qui affirme que dans le Dharma du Bouddha  la condition essentielle de l’esprit inclut universellement toutes les formes, décrit l’ensemble du vaste monde du Dharma en incluant tout, sans séparer l’essence et la forme, et sans débattre de l’apparition et de la disparition.

Il n’y a aucun état – pas même la bodhi ou le nirvana – qui soit distinct de la condition essentielle de l’esprit. Tous les dharmas, la multitude des phénomènes et l’accumulation des existences, sont totalement un seule et même esprit, sans exclusion ni séparation.

Toutes ces diverses lignées du Dharma affirment que la multitude des existences et des phénomènes sont le même esprit équilibré et indivisé, il n’y a rien en dehors de cela ; et c’est bien ainsi seulement que les Bouddhistes comprennent l’essence de l’esprit. Ceci étant, comment pourrions-nous diviser cette réalité en corps et esprit, ou vie-et-mort et nirvana ? Nous sommes déjà des disciples du Bouddha. Ne prêtons donc pas même l’oreille aux sons émis par les langues des hérétiques  qui répandent des vues non-bouddhistes.

*

Si quelqu’un demandait :

 

-               Une personne dévouée à la pratique de Zazen doit-elle toujours respecter les préceptes sans faillir ?

 

Je dirais:

 

-                Protéger les préceptes et une conduite pure, c’est la norme des lignées Zen et le comportement habituel des patriarches Bouddhistes. Mais ceux qui n’ont pas encore reçu les préceptes, ou qui les ont brisés, ne sont pas exclus du bénéfice de Zazen.

 

Si quelqu’un demandait :

 

-               Y a-t-il quelque chose qui empêche un pratiquant de ce Zazen de pratiquer également les mantras et le vipassana ?

 

Je dirais:

 

-                Lorsque j’étais en Chine, J’ai entendu l’essence des enseignements de la bouche même d’un maître authentique ; il disait qu’il n’avait jamais entendu parler d’aucun patriarche ayant reçu la transmission authentique du sceau du Bouddha qui eût suivi de telles pratiques par surcroît, que ce soit en Inde ou en Chine, jadis ou actuellement. Assurément, si nous ne nous consacrons pas complètement à une seule chose, nous n’atteindrons jamais la sagesse complète.

 

Si quelqu’un demandait :

 

-               Les hommes et femmes laïcs peuvent-ils aussi s’engager dans cette pratique, ou est-elle réservée seulement aux moines et nonnes ?

 

Je dirais:

 

-                Un maître ancien a dit que, concernant le Dharma du Bouddha, nous ne devons pas discriminer entre hommes et femmes, noble ou commun.

 

Si quelqu’un demandait :

 

-               Les moines et nonnes qui abandonnent leur maison se libèrent d’un seul coup de tous leurs engagements, de sorte qu’il n’y a plus d’obstacle à leur pratique de Zazen et à la poursuite de la vérité. Comment un laïc accaparé par ses occupations peut-il pratiquer et être en unité avec l’état d’esprit sans intention de la vérité Bouddhiste?

 

Je dirais:

 

-                En règle générale, les Patriarches, débordants de générosité, ont laissé ouverte la vaste et grande porte de la compassion de manière à ce que tous les êtres vivants puissent expérimenter la vérité ; quel être humain ou quel dieu pourrait se refuser à y entrer ? Donc, lorsque nous parcourons le passé et le présent, nous en trouvons de nombreuses confirmations.

Par exemple, Daiso et Junso étaient, en tant qu’empereurs, extrêmement pris par les affaires d’Etat, mais il n’en ont pas moins poursuivi la vérité à travers l’assise en Zazen et ont réalisé la grande vérité des Patriarches Bouddhistes. Les ministres Li et Bo, seconds de l’empereur, étaient les bras et les jambes de la nation toute entière, mais ils n’en ont pas moins tous deux poursuivi la vérité à travers l’assise en Zazen et réalisé la grande vérité des Patriarches Bouddhistes.

Cette pratique-expérience s’appuie seulement sur la décision ou non de pratiquer ; elle ne dépend pas du fait que le corps quitte ou non la maison. Qui plus est, quiconque distingue profondément la qualité supérieure ou inférieure des choses aura naturellement la foi. Ceux qui pensent que les affaires du monde entravent en quelque manière le Dharma du Bouddha, dénient en fait l’existence du Dharma du Bouddha ; ils ignorent qu’il n’y a aucune existence qui puisse être considérée comme mondaine dans l’Éveil du Bouddha. Récemment en Chine il y eut un ministre du nom de Hyo, un officiel de haut rang qui avait réalisé la vérité des Patriarches. A la fin de sa vie il rédigea un poème où il s’exprima ainsi :

 

Lorsque les affaires officielles me le permettent, j’aime m’asseoir en Zazen.

J’ai rarement dormi le flanc sur un lit.

Bien que je sois maintenant devenu Premier Ministre,

Ma réputation de pratiquant chevronné s’est répandue au-delà des quatre mers.

 

Il s’agissait d’une personne qui n’avait aucun temps libre du fait de ses obligations officielles mais, du fait que sa détermination à pratiquer la Voie était profonde, il fut en mesure de réaliser la vérité. Nous devrions réfléchir et nous comparer à sa situation et à cette époque. En Chine parmi la génération présente de rois et de ministres, de nobles ou de roturiers, d’hommes comme de femmes, tous sans exception appliquent leur esprit à la vérité des Patriarches.

Les classes militaires autant que littéraires sont déterminées à pratiquer Zazen et à apprendre la vérité. Ceux qui s’y décident clarifieront sans doute pour la plupart l’Éveil. On peut donc naturellement en conclure que les affaires du monde n’obstruent nullement le Dharma du Bouddha. Lorsque l’authentique vérité se répand dans une nation les bouddhas et les dieux la protègent constamment, si bien que c’est un règne de paix. Lorsque le règne impérial est paisible, le Dharma du Bouddha se développe naturellement.

Lorsque Shakyamuni était de ce monde, même des personnes coupables de lourds péchés ou porteuses de vues erronées furent en mesure d’atteindre la vérité, et dans le sillage des maîtres anciens même des chasseurs ou de vieux bûcherons réalisèrent la Voie. Il est seulement nécessaire de rechercher l’enseignement et la réalisation auprès d’un maître authentique.

 

Si quelqu’un demandait :

 

-               Même dans le monde présentement corrompu de  dégénérescence du Dharma, est-il encore possible de réaliser la véritable expérience de l’Éveil en adoptant cette pratique ?

 

Je dirais:

 

-                Des intellectuels se sont préoccupés de telles conceptions, mais dans le véritable enseignement du Grand Véhicule, nous disons que tous ceux qui pratiquent atteignent la réalisation, sans discriminer entre le Dharma « juste », « imitatif » ou « dégénérescent ».

Dans ce véritable Dharma directement transmis, à la fois en y entrant et en en sortant, nous recevons le trésor de notre propre réalité. Ceux qui pratiquent peuvent naturellement savoir s’ils expérimentent réellement ou non l’Éveil, exactement comme quiconque puisant de l’eau est en mesure de dire si elle est froide ou chaude.

 

Si quelqu’un demandait :

 

-               Il a été dit que dans le Dharma du Bouddha une fois que nous avons clarifié le principe selon lequel l’esprit ici et maintenant est bouddha, même si notre bouche ne récite aucun sutra et que notre corps ne pratique pas la Voie du Bouddha, nous ne manquons de rien. Le simple fait de savoir que le Dharma du Bouddha demeure originellement en chacun de nous constitue l’achèvement complet de la vérité. Il n’y a aucun besoin de rechercher quoi que ce soit d’autre auprès d’une autre personne. Ne devrions-nous donc pas cesser de nous soucier de poursuivre la vérité en Zazen ?

 

Je dirais:

 

-               Voilà des propos extrêmement douteux. S’il en était comme vous le dites, comment une personne normalement intelligente pourrait-elle manquer de comprendre ce principe une fois qu’on lui aurait exposé ? Sachez que nous ne commençons à apprendre le Dharma du Bouddha que lorsque nous abandonnons les notions de sujet et d’objet. Si le fait de savoir que nous-mêmes sommes seulement bouddha pouvait être appelé réalisation de la vérité, Shakyamuni ne se serait pas soucié d’enseigner les préceptes par le passé. J’aimerais maintenant démontrer ceci à travers un exemple de sagesse subtile des anciens patriarches :

Il y a bien longtemps, dans la sangha de Maître Hogen, il y avait un moine appelé Soku. Son maître lui demanda :

« Révérend Soku, depuis combien de temps êtes-vous dans ma communauté ? »

 

Soku répondit : « Voici bientôt trois années déjà que je sers dans la communauté du Maître. »

 

Hogen : « Vous êtes un membre récent de notre communauté. Pourquoi ne me questionnez-vous jamais au sujet du Dharma du Bouddha ? »

 

Soku : « Maître, autant ne rien vous cacher : auparavant, lorsque j’étais dans la communauté de Maître Seiho, J’ai réalisé l’état de paix et de joie dans le Dharma du Bouddha. »

 

Hogen : « Quels sont les mots qui vous ont permis d’y entrer ? »

 

Soku : « Un jour j’ai demandé à Seiho : qui est ce disciple qui est moi ? Et Seiho répondit : les hommes de feu viennent à la recherche du feu. »

 

Hogen : « De bien belles paroles en effet. Mais j’ai peur que vous ne les ayiez pas comprises. »

 

Soku : « Les hommes de feu possèdent le feu. Donc j’ai compris que bien qu’étant de feu ils recherchent le feu, est une image de moi-même me cherchant moi-même.»

 

Hogen : « Maintenant je suis certain que vous n’avez rien compris. Si le Dharma du Bouddha était ainsi, il n’aurait jamais pu être transmis jusqu’à nos jours. »

 

A ces mots Soku se sentit soudain embarrassé et abattu, et il se mit en tête de quitter le temple. Mais en route il réfléchit: « Le Maître est reconnu dans tout le pays comme un bon guide et il est un grand responsable auprès de cinq cents personnes. Je dois admettre la valeur de sa critique.» Aussi il retourna auprès de son Maître pour admettre son erreur et s’excusa en se prosternant. Alors il demanda : « Qui est ce disciple qui est moi ? », et son Maître répondit : « Les hommes de feu viennent à la recherche du feu. ».

En entendant à nouveau cette phrase, Soku réalisa cette fois complètement le Dharma du Bouddha.

 

Il est bien évident que le Dharma du Bouddha n’est jamais atteint par la compréhension intellectuelle que nous sommes nous-mêmes bouddha. Si comprendre que nous sommes nous-mêmes bouddha était le Dharma du Bouddha, le Maître Zen n’aurait pas pu guider Soku, et il ne l’aurait pas admonesté ainsi. Dès notre première rencontre avec un véritable Maître, nous devrions uniquement et directement l’interroger sur les règles de la pratique, et poursuivre la vérité d’un seul esprit par l’assise en Zazen, sans permettre à une simple idée ou à une demi-compréhension de subsister. Alors la méthode subtile du Dharma du Bouddha ne sera pas pratiquée en vain.

 

Si quelqu’un demandait :

 

-               En Inde et en Chine, les gens sont naturellement humbles et sérieux, parce qu’ils sont au centre du monde civilisé; si bien que lorsqu’on leur enseigne le Dharma du Bouddha ils le comprennent et le pratiquent très rapidement. Dans notre pays, depuis les temps anciens les gens ont peu de sagesse et de bienveillance, et il nous est difficile d’accumuler les graines de la vérité, parce que nous sommes des sauvages et des barbares du sud-est. Comment ne pas le déplorer ? Même les moines de notre pays qui ont quitté leur maison sont inférieurs  aux laïcs des grandes nations. Toute notre société est stupide, et nos esprits étroits et faibles. Nous sommes profondément attachés aux résultats de nos efforts volontaires, et nous mettons en exergue des qualités superficielles. Est-ce que des personnes de la sorte peuvent tout de même espérer expérimenter directement le Dharma du Bouddha à travers l’assise en Zazen ?

 

Je dirais:

 

-               Comme vous le dites, les habitants de notre pays ne sont pas tous universellement bienveillants et sages, et certaines personnes en particulier sont même sûrement des brutes. Même si nous leur enseignons l’authentique et véritable Dharma, ils transformeront ce nectar en poison. Ils sont plus aisément dirigés par la recherche de la renommée et du gain, et il est difficile de dissoudre leurs illusions et leurs attachements. D’un autre côté, pour expérimenter le Dharma du Bouddha et y entrer, il n’est pas forcément nécessaire d’employer la sagesse universelle des êtres humains et des dieux pour manifester l’Éveil.

Lorsque le Bouddha était de ce monde, un vieux moine expérimenta le quatrième effet en étant frappé par une balle, et une prostituée clarifia la grande vérité après avoir revêtu un kesa ; tous deux étaient des personnes stupides, naïves et bornées. Mais avec l’aide de la foi juste, ils furent en mesure d’échapper à leurs illusions.

Une autre histoire célèbre est celle de la femme pieuse qui, en préparant le déjeuner, réalisa la Voie en apercevant un vieux moine idiot paisiblement assis. Ceci ne provint pas de sa propre sagesse, ni d’aucun écrit, ni d’aucune parole ou discussion ; elle fut libérée seulement par sa foi juste.

Les enseignements de Shakyamuni se sont répandus dans les trois mille mondes depuis environ deux mille ans. Les pays sont de toutes sortes ; toutes ne sont pas des nations de bienveillance et de sagesse. Comment d’ailleurs tous les gens pourraient-ils posséder à part égale l’intelligence et la sagesse ainsi que l’acuité de la vue et de l’ouïe ? Mais le véritable Dharma du Tathagata est doté originellement de vertus et de pouvoirs immenses et impensables, et le moment venu il se répandra dans tous ces pays. Lorsque quiconque pratique simplement avec la foi juste, les avisés comme les sots atteignent tout autant la vérité.

Ne pensez donc pas que, parce que notre pays n’est pas une nation de bienveillance et de sagesse et que les gens y sont obtus, il nous est impossible d’atteindre le Dharma du Bouddha. Tous les êtres humains détiennent en abondance les graines de la sagesse prajna. Il se peut simplement que comme seulement peu d’entre nous ont expérimenté directement l’Éveil, nous sommes immatures dans ce domaine.

 

Les questions se sont succédées dans une alternance désordonnées entre l’audience et le locuteur. Combien de fois ai-je fait fleurir d’inutiles abstractions ? Cependant, le principe fondamental de la poursuite de la vérité à travers l’assise en Zazen n’avait jamais été transmis dans ce pays ; quiconque le cherchait ardemment aurait autrement été déçu. C’est pourquoi j’ai l’intention de rassembler les quelques expériences que j’ai connues en Chine, et de transcrire les secrets d’un maître éveillé, de sorte qu’ils puissent être entendus par tout pratiquant qui le souhaite. J’y ajouterai plus tard les règles et les conventions des monastères et des temples, mais je manque de temps actuellement de temps pour les enseigner car elles nécessitent d’être exposées avec soin.

De manière générale, il est très heureux pour les habitants de notre pays que même si nous sommes séparés de la Chine par des nuages et des brumes, le Dharma du Bouddha se soit répandu vers nous depuis l’ouest. Cependant, la confusion entre idées et formes s’est accentuée, dérangeant la situation de la pratique. Désormais, parce que nous nous contentons de robes déguenillées et de bols recollés, liant le chaume pour pouvoir nous asseoir et pratiquer parmi les falaises bleues et les rochers blancs, la question de l’éveil ancestral du Bouddha apparaît enfin, et nous nous saisissons promptement de la grande affaire d’une vie de pratique. Ceci n’est que le sceau de la montagne Ryuge où vécut le successeur  de Tozan, et l’héritage du mont Kukkutapada où mourut Mahakashyapa. Les formes et les règles de l’assise en Zazen peuvent être pratiquées en suivant le fukan-zazengi que j’ai rédigé à l’ère Karoku.

 

Maintenant, pour répandre l’enseignement du Bouddha à travers toute une nation, d’un côté il semble que nous devrions attendre le décret royal, mais d’un autre côté si nous nous souvenons du sermon sur le Mont des Vautours, les rois, les nobles, les ministres et les généraux , des myriades de royaumes acceptèrent tous avec gratitude le décret du Bouddha et naquirent à nouveau pour accomplir le vœu de leurs vies antérieures consistant à protéger et maintenir l’enseignement du Bouddha. Dans cette expansion de l’enseignement, quel lieu pourrait ne pas être une terre de Bouddha ?  C’est pourquoi lorsque nous désirons répandre la vérité des patriarches Bouddhistes, il n’est pas toujours nécessaire de choisir un endroit en particulier ou d’attendre des circonstances favorables. Pourrions-nous simplement considérer ce jour comme point de départ ? J’ai donc rassemblé ces écrits, et je les laisse en héritage pour les maîtres judicieux qui aspirent au Dharma du Bouddha, et pour le fleuve des pratiquants sincères qui désirent explorer l’état de vérité, pareils à des nuages flottants ou des herbes dans le courant.